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nº1996semaine du jeudi 06 février 2003
à la une < le nouvel observateur < antisémitisme: ce quon nose pas dire
la république à lépreuve du conflit israélo-palestinienantisémitisme: ce quon nose pas direnon, la france nest pas un pays antisémite. mais lantisémitisme sy développe. une judéophobie hier refoulée, aujourdhui décomplexée. et parfois violente. elle se concentre dans un milieu bien précis: cette fraction de la communauté arabo-musulmane qui, entre frustration sociale et solidarité avec la cause palestinienne, trouve dans la détestation du juif un exutoire à son mal de vivre, une revanche sur lhistoire. claude askolovitch a enquêté sur cette poussée de haine, dautant plus redoutable que la société a trop tardé à la combattre, faute doser la désignerjulien na rien vu venir. comment aurait-il pu prévoir? il était simplement ému et fier de lire une liste de noms, dans la cour de son école. ce jour-là – cétait au printemps dernier –, on inaugure une plaque à la mémoire denfants juifs déportés pendant la seconde guerre mondiale. julien, cours moyen deuxième année, mère juive, le père non, sest senti concerné; il sest porté volontaire pour rendre hommage à ses lointains condisciples évanouis en fumée du côté dauschwitz. il lit. déjà , dautres enfants murmurent...cela se passe en 2002, dans un quartier populaire de paris, où lon rafla des juifs pendant la guerre, où poussent depuis toujours les immigrés de tout poil. on y a parlé yiddish, polonais, arabe, berbère, vietnamien ou mandarin, breton ou français de paname. ménilmontant. quartier attachant. travaillé aujourdhui par dobscures passions. on y trouve désormais des mosquées intégristes. et des échoppes, depuis le mois de novembre, y vendent un étrange produit: mecca-cola, un clone de coca inventé par un agitateur affairiste, taoufik mathlouthi, qui touille les passions antijuives et la haine anti-israélienne sur les ondes de sa radio-méditerranée. il se refuse à prononcer le mot «israël», voue aux gémonies «lentité sioniste promise à disparaître»,
se réjouit des avanies du ps – le «parti
sioniste», dit-il – et de jospin – «sa défaite a été
celle du lobby juif» – et promeut sa boisson comme lalternative proarabe aux bulles américano-sionistes. cela sécoute: radio-méditerranée a de laudience. cela se vend: mecca-cola est populaire. cest ménilmuche. au printemps 2002, julien lit donc ses noms devant lécole rassemblée. a la rentrée de septembre, il passe au collège. zep, ghetto. on le reconnaît. il est celui qui a lu les noms des juifs. le juif. un autre gosse le prend pour cible, qui le connaît depuis leur petite enfance. kamel est plus grand que julien. il mène la danse. entraîne dautres enfants. ce sont des gifles, des insultes. «youpin», «sale juif», «charogne»,
«alien charogne» – jeu de mot sur ariel sharon. des rondes malignes dans la cour du collège. «pourquoi me regardez-vous comme ça?–
parce que tes juif», répondent des gros bras de 3e. julien est perturbé. sa prof danglais voudrait lenvoyer chez un psychologue. a la fin du trimestre, la principale convoque les parents. «je ne peux plus
garantir la sécurité de votre fils. il faut le changer détablissement.» elle leur déballe tout. ce que le gamin ne leur racontait pas, voulant épargner sa mère. brave petit soldat quon était en train de pogromiser.julien a été transféré dans un autre établissement. il va mieux, disent ses parents. on la inscrit dans une grande cité scolaire, qui va de la 6e aux classes préparatoires. en seconde, il y a une jeune fille aux longs cheveux noirs. lan dernier, dans son collège du 19e arrondissement, anne-lise sest fait gifler par une bande de filles qui avaient vu son étoile de david. «sale juive, juive qui pue, les juives se lavent pas,
excuse-toi dêtre juive»... anne-lise aux longs cheveux en est restée pensive. elle «traînait» avec tout le monde, sans se préoccuper des clans adolescents. ses copains arabes lui disaient: «toi, tu es différente, tu parles avec tout le monde.» dans son nouveau bahut, elle se mélange un peu moins. forcément. elle «traîne» avec des juifs. des feujs, on dit chez ces ados. dans leur monde, ils se reconnaissent entre eux, distinguent « feujs » et « rebeus » à des chaussures de sport ou des cheveux plus ou moins gominés. a la sortie du lycée, parfois, une bande de rebeus-survêts avec ballon de foot joue à shooter sur les feujs-blousons. ce nest pas trop douloureux. il ny a pas quinze jours, devant un autre lycée, on est allé plus loin. a la sortie des cours du lycée arago, place de la nation, une bande de jeunes beurs est venue tabasser deux jeunes juifs. coups de pied dans la tête, et puis «sales
youdes, sales youdes». on ne sait pas comment tout a commencé... la mère de johann, qui a vomi, passé un irm, qui tremble et ne veut pas revenir en cours, sait juste quelle a perdu confiance en lhumanité. la mère de michaël, qui sest mieux protégé des coups, veut se rappeler quelle vit dans une cité métissée, entourée de voisins maghrébins, «des gens
bien, des enfants géniaux, brillants – on ne va pas se mettre à détester les
arabes, maintenant?» le même jour – cétait le mercredi 15 jan-vier –, une école juive gérée par les loubavitchs a été attaquée par une autre bande – black-beur, celle-là . laffaire était moins exceptionnelle. lécole est située en face dune cité réputée chaude, à ménilmontant – encore. depuis des années, cest un rituel. bousculades, «sales putes de juifs», boîtes à gifles, intimidations, parfois à des fins… commerciales. lautre jour, quelques-uns sont allés «faire la pression» sur les petits feujs pour leur vendre un portable volé. david, 14 ans, a refusé avec véhémence. «on va te rattraper.» ils lont rattrapé. coups de pied, coups de poing, coups de boule, «sale pute de
juif». le tarif. david avait déjà donné lan dernier, dans un square où il avait été fracassé. «je ne sais pas si tout le monde est
antisémite, mais je commence à avoir du mal quand je vois des arabes», dit le gamin. le père de david, médecin, la cinquantaine, né en algérie, est de ces pieds-noirs façon enrico qui aimaient penser que les arabes les aimaient. «je suis déçu, dit-il. par les
jeunes, surtout...»julien le transféré ne sait pas encore tout cela. il croit quil est sauvé, quen changeant de collège, il a échappé à la méchanceté. ses parents ont peur quelle le rattrape. kamel, lautre jour, a croisé le père de julien, il lui a demandé, narquois, pourquoi son fils avait quitté lécole. «tu le sais bien, kamel.
cest terrible de se traiter comme ça entre petits français...» kamel, 13ans, a répondu: «je suis pas français, je suis
arabe.» a arago, tandis que johann et michaël se faisaient estourbir, deux beurettes regardaient le spectacle en poussant des youyous.voilà . autant de saynettes qui racontent quelque chose sur un pays en bascule. elles démentent les chiffres rassurants des sondages sur la «diminution des sentiments antisémites». sans doute, le français moyen a de moins en moins de réticence à lidée dépouser une juive ou de voter pour un juif. sans doute, la france nest pas antisémite. mais lantisémitisme y prospère. un racisme antijuif, non plus diffus mais concentré dans un segment de la société, bien précis, bien meurtri. sautorisant de sa propre souffrance pour provoquer celle des autres. dautres histoires? celle de ce professeur de comptabilité en seine-saint-denis, à qui ses élèves avaient scotché un autocollant «israël-apartheid» sur son manteau, avant décrire au tableau «a mort les juifs!
» et de dessiner une croix gammée et une étoile de david accolées. comme le prof sen étonnait, yacine lui a lancé: «mais pourquoi
ça vous dérange?» puis, se tournant vers ses camarades: «cest un youpin!» chrystelle, étudiante en psychologie et vendeuse aux galeries-lafayette, passée à tabac un samedi matin, dans le couloir de la station de métro miromesnil. deux maghrébins avaient vu son pendentif, un haï – le mot «vie» en caractères hébraïques. ils lont laissée en sang. au travail, ses collègues lui ont dit quelle lavait bien cherché, à porter des colliers provocants. ou lhistoire de cette gamine agressée dans le rer par une jeune arabe qui la rouée de coups et mordue, après lavoir entendue parler dans son portable: la môme avait dit: «sur la torah». ou cet automobiliste à casquette insulté par un chauffeur de taxi arabe: «jencule tous
les juifs!»histoires de la france. histoires dantisémitisme en france. dantisémitisme musulman? arabe? maghrébin? beur? peu importe les termes, mais affrontons la réalité: un antijudaïsme grandit dans les «communautés arabo-musulmanes». tous ne le partagent pas. mais il saffirme. banal et décomplexé. il est violent en zone de violence, dissimulé en quartier civilisé. politisé dans ces universités, comme nanterre, où des extrémistes propalestiniens agressent leurs homologues juifs. cet antijudaïsme se nourrit de la tragédie palestinienne. mais il vient de plus loin. «ne diabolisez pas une
communauté», demande nacer kettane, président de beur-fm. il ne nie pas la réalité. il a licencié, il y a quelques années, un animateur qui laissait intervenir sur lantenne des auditeurs fustigeant les juifs qui «dominent le monde». kettane est sans illusions sur ce qui mijote dans la tête des jeunes. lexclusion, la violence, «et cette identification aux palestiniens, qui en fait
basculer certains.» mais il dérive vite sur les institutions juives, qui défendent israël «et ajoutent à la confusion». et poursuit sur le bétar, organisation de jeunesse sioniste très à droite, aux comportements violents: «il faudrait dissoudre ce
mouvement!» kettane na pas tort. les responsables juifs invitent à lamalgame «juifs de france = israël» quand ils arborent en toute occasion le drapeau de letat hébreu, entonnent son hymne national, et proclament leur «solidarité inconditionnelle» avec lui. bref se montrent parfois plus sionistes que les israéliens eux-mêmes! quant au bétar – sans même parler de la groupusculaire et raciste ligue de défense juive –, ses méthodes sont indéfendables. mais tout de même: partir des actes antisémites pour demander la seule dissolution dun groupe juif, cest une pirouette qui révèle un réel malaise. les grands noms de la «communauté» franco-maghrébine ont du mal à condamner en termes simples les agressions antijuives. soheib bencheikh, le jeune mufti de marseille, incarnation dun islam ouvert et modéré, représente bien cette difficulté. fraternel dun côté… mais assortissant tout aussitôt sa condamnation de lantisémitisme dune condamnation des «atrocités» disraël. un balancement délibéré, précise-t-il, car «il est très
difficile dêtre audible. on se fait vite traiter de complice des
sionistes.» alors le même bencheikh plaide pour le boycott des produits israéliens – position considérée comme extrême jusque dans les mouvements propalestiniens. tout en jurant son amitié à la communauté juive: «je suis un ami plus efficace, leur dit-il, si ma parole reste libre.» on peut parfaitement être anti-israélien sans être antisémite. mais, dans la pratique, dans ces quartiers de détresse où les amalgames engendrent la violence, les mots sont des détonateurs. en diabolisant israël, bencheikh prend le risque de réalimenter cet antijudaïsme quil combat par ailleurs. «partout où des municipalités en rajoutent sur
lengagement propalestinien, on a un surcroît dagressions, assure sammy ghozlan, ancien commissaire de police devenu responsable communautaire juif. a force de lire les mots "martyre", "assassins", "crimes de
guerre", les jeunes beurs les plus fragiles pètent les plombs.» ghozlan est pro-israélien, et sa vision du problème en est influencée. mais cest un modéré. dans lorchestre oriental quil anime, les musiciens arabes sont ses amis. il est exaspéré par les ultras de la communauté juive «qui
empêchent les gens dentendre nos plaintes, tant ils ramènent tout au soutien Ã
sharon, à tsahal ou aux colonies». mais il nen démord pas: un certain discours propalestinien met le feu à la société française. lexpérience confirme ses craintes. quand une élue verte parisienne, violette baranda, veut sopposer au vote dune subvention à une crèche du mouvement loubavitch qui accueille des enfants de familles démunies, premières cibles de lantisémitisme des cités, elle accuse lobédience dêtre le fourrier en france de «lextrême-droite religieuse israélienne». quand des jeunes beurs viennent perturber en ricanant la conférence sur la shoah dune rescapée des camps de la mort, dans un collège de la circonscription de robert hue, cest keffieh palestinien ostensiblement noué autour du cou. et, dans une école dingénieurs, un étudiant arabe répond en ces termes à une jeune condisciple au prénom juif qui a envoyé une circulaire par e-mail pour résoudre un problème dinformatique: «il faut que tu tadresses
de toute urgence à ariel sharon ou à son nouveau ministre de lextérieur
benjamin netanyahou. ils te trouveront sûrement le remède dans les archives du
mossad, parce que, en fin de compte, les virus, les contaminations et
lintrusion sont des spécialités israé..ennes.» sic. simplement écrire le mot «israéliennes» lui est déjà impossible. ayant reçu en retour un mail furibard dun ami de la jeune fille, létudiant monte dun degré: «combien de temps as-tu passé à rédiger ce message que jai
effacé dès que jai lu lobjet et senti une odeur puante dun chien juif enragé?
je nai rien à texpliquer car tu ne mérites pas dêtre adressé comme un être
humain. une seule chose à te dire, petit sharon: je temmerde tout comme les
palestiniens emmerdent ceux qui ont piqué leur patrie.» ainsi dérape, dans un campus français, la juste cause du peuple de yasser arafat.lantisémitisme musulman est devenu un objet public depuis deux ans. quand les passages à lacte ont commencé, avec la seconde intifada. longtemps, on nen a parlé que de bouche de juif à oreille de juif, dans une communauté flirtant avec la paranoïa de ceux que nul ne veut entendre. les médias, comme les autorités, ont minimisé, atténué, contextualisé, édulcoré. pour beaucoup de bonnes et quelques mauvaises raisons. la crainte, à gauche, daccentuer le malentendu avec les franco-maghrébins. le souci, à droite, de ne pas contrecarrer le mouvement des beurs vers chirac. jospin est lami disraël, pas celui des arabes, «les palestiniens qui lont
caillassé à bir zeit ne sy sont pas trompés», expliquait le site internet chiraquien «lesbeursavecchirac.com».mais la gêne nétait pas seulement instrumentale. il est de bonne tradition journalistique et républicaine de ne pas typer les auteurs dagressions. les arabes eux-mêmes sont tragiquement victimes du racisme dans ce pays. et le communautarisme est une plaie qui ronge la république. enfin, vingt ans dantilepénisme ont modelé la pensée française: les systèmes dalerte étaient programmés pour dépister les dérapages fascistes – pas les pogroms des gueux.il y a quelques années, un dessinateur généreux, farid boudjellal, fils dun immigré algérien, inventait deux personnages de souriante caricature, deux barbus de belleville. «juif-arabe», cétait le titre. un juif tout de noir vêtu, façon loubavitch, et un arabe en gandoura, don camillo et peppone à la kémia, senvoyant à la tête la torah et le coran, israël et la palestine. les deux hommes se réconciliaient quand leurs enfants respectifs se bécotaient sur les bancs publics – horresco referens! ou quand des skinheads surgissaient dans le décor, assommant les deux barbus avec le même entrain. «nous avons un ennemi commun», soupiraient les deux adversaires. cela crée des liens. boudjellal a grandi à toulon. il avait 16 ans en 1967, lors de la guerre des six-jours. «a lécole, mes potes se foutaient de moi parce que les
egyptiens avaient fui en abandonnant leurs chaussures dans le désert, se souvient-il. jétais arabe, donc vaincu, donc
humilié.» a lépoque, on discutait quand même. boudjellal avait des copains juifs. il était beur et propalestinien. il créa «juif-arabe» pour affronter la question. «jai appris à connaître les juifs en les
dessinant», dit-il.aujourdhui, boudjellal a envie de reprendre sa bd. pour dire quil ne désespère pas du dialogue. un type qui lui ressemble, juif celui-là , qui aimait les personnages arabes de ses films pieds-noirs, veut lui aussi ressusciter un couple feuj-beur. le cinéaste alexandre arcady, qui inventa dans «lunion sacrée» un tandem de flics juif et arabe (patrick bruel et richard berry) luttant ensemble contre le terrorisme islamiste – incarné par un diplomate khomeiniste et barbu. arcady va refaire lunion sacrée, pour la télévision cette fois, avec dautres acteurs. et de nouveaux méchants.arcady et boudjellal risquent de ramer pour se faire entendre. le temps a passé. le pen ne rassemble plus les minorités contre lui. a la dernière présidentielle, des juifs ont voté pour lui. et des arabes aussi bien. le front national a même son beur: farid smahi. conseiller régional fn dile-de-france, maniant largutie antijuive avec une habileté confondante, dénonçant les privilèges d«une
certaine communauté», sa puissance dans les médias, fustigeant cette école qui assène la shoah et laffaire dreyfus aux petits français... message explicite: nous, arabes, et vous, gaulois, avons le même ennemi. quand il est apparu dans le paysage politique, smahi semblait un extraterrestre. cinq ans plus tard, il est en phase. on le voit, dans des repas de ramadan, en banlieue ouest, accueilli par des notables et de jeunes apprentis politiciens beurs, souvent flanqué dun intégriste affiché, qui promenait sa barbiche au qg de le pen le 21 avril dernier. et à la mutualité, en novembre, lors dun meeting des gauches propalestiniennes.les thèmes de smahi ont franchi les frontières du fn. le «culte de la shoah», que dénonçait la seule extrême-droite, voilà que des élèves arabes, dans des lycées et collèges, refusent dy sacrifier! lantisémitisme musulman nest plus le fait détranges barbus venus dailleurs. il est de france. la haine antijuive prend des formes tragiquement banales. ce sont des élèves dun lycée professionnel qui, parlant dun stylo cassé ou dune gomme avariée, disent: «mon
stylo, il est complètement feuj!» ou: «ma gomme,
elle est mazel tov!» cest un jeune employé maghrébin dune piscine de seine-saint-denis qui interdit lentrée à un gamin juif arrivé en retard pour une séance dentraînement en lançant: «au nom dallah,
il nentrera pas.» et comme la famille insiste: «sales juifs, je vais vous fumer.» et ces fidèles de synagogues de quartiers chauds résignés à recevoir des pierres ou des crachats en se rendant à loffice.«on
shabitue à tout, cest extraordinaire», ironise arié bensemhoun, président de la communauté juive toulousaine, qui refuse de shabituer. il a été président local de sos-racisme, puis artisan dun dialogue feuj-beur très médiatisé, à la création de france-plus. ce sioniste militant a renoncé au tête-à -tête avec ses contemporains arabes: «sharon et arafat sont un
prétexte. les beurs ont un problème avec les juifs. tant quils ne ladmettront
pas, on ne peut rien construire.» bensemhoun évoque souvent une interview donnée par un autre toulousain, magyd cherfi, du groupe zebda. «quand jétais petit, on naimait pas les
juifs, racontait cherfi au « nouvel obs » il y a un an. mes parents étaient antisémites, comme on lest au maghreb.
le mot "juif", en berbère, cest une insulte… ce nétait pas une question de
palestine, de politique: cétait comme ça. on naimait pas les juifs – sauf ceux
quon connaissait.» ce texte a provoqué un mini-scandale. certains ont taxé cherfi dantisémitisme. cétait idiot. le cherfi daujourdhui est tout sauf antisémite. mais il ne se paie pas de mots. il dit que le mal a des racines. cela reconnu, on peut corriger, affiner. parler politique. «il y a toujours eu un
antisémitisme du lumpenproletariat, de tous les lumpen, explique le président de sos-racisme, malek boutih... pour les
exclus du système, le juif, stupidement, incarne la richesse, le capitalisme.
or, aujourdhui, le lumpen est aussi beur.» dautres accusent la déculturation et la montée de lintégrisme. «un de mes
cousins, en échec scolaire, sest retrouvé embrigadé dans une mosquée de
saint-etienne, raconte krim, un publicitaire français dorigine marocaine. il sest bientôt mis à mexpliquer que les juifs
buvaient le sang des musulmans. mais buvaient vraiment, hein, ce nétait pas une
métaphore!»pas besoin hélas de descendre léchelle sociale ou daller chez les fous dallah pour entendre des horreurs. tout près de paris, une cité sans histoires, ni tags, ni drogue, un appartement douillet, gâteaux au miel et soupe au mouton. une famille musulmane laïque, dorigine tunisienne. le père, moncef, petit patron autodidacte, le verbe étudié, taraudé par le besoin de comprendre et dêtre compris. sa fille, prof de lycée, titulaire dun capes. plus deux amis de passage. on parle avec eux une soirée entière. on en ressort terrifié. tranquillement, sans jamais sexalter, ils déballent un à un tous les poncifs de la haine antijuive que véhicule le malheur arabe contemporain. que lattentat du world trade center était une manipulation du mossad. que ce jour-là , air connu, 4000 juifs employés dans les tours ne sont pas allés travailler: les synagogues les avaient avertis. que la «puissance juive» tient la france et marginalise les arabes. que tout était prévu, raconté, annoncé, dans les «protocoles des sages de sion» (lire page 24, larticle dalain chouffan). moncef a lu cet évangile des antisémites. il a tout gobé. il na jamais entendu dire que cétait un faux… les juifs ont tous les pouvoirs. même hitler a fait leur jeu: cest parce quil les a tués quils ont obtenu la création disraël. «ils sont moins nombreux, mais encore plus forts.»des méchants, des fanatiques, moncef et les siens? pas du tout. de très braves gens. intégrés. qui ont voté à gauche. sauf la maman, qui aime beaucoup chirac: «il est gentil avec les
arabes.» ni miséreux ni incultes. des gens. capables, même, de lucidité sur eux-mêmes: «nous savons bien que nous sommes sensibles Ã
certaines histoires, nous autres arabes, parce quelles nous consolent...» leur meilleure amie dans la cité sappelle esther. juive. mais tunisienne, comme eux. moncef lui ouvre la porte, le samedi, pour lui éviter de profaner le shabbat en appuyant sur le bouton électrique. moncef est le plus charmant des voisins. chaque soir à 20 heures, rituellement, il se branche sur al-jazira, la télé du monde arabe. celle de la vérité venue dailleurs. où la palestine est le sujet obsessionnel. où les monstruosités antisémites peuvent être de simples objets de débat. moncef est dici, il regarde la télé dailleurs. il aime bien esther, mais tous les soirs il communie dans la souffrance des palestiniens. il réapprend à détester les sionistes et à se méfier des juifs. moncef est lhéritier dune histoire compliquée: lhistoire des juifs et des musulmans. haine et amour mêlés. depuis si longtemps (lire lencadré ci-dessus). et aujourdhui encore. malgré la palestine et israël. malgré la violence. en dépit de tout. «dans les marchés
forains, et partout ailleurs, juifs et arabes sentendent bien, commercent
ensemble de façon privilégiée», avertit lécrivain lyonnais azouz begag. le journaliste ghaleb bencheikh, frère de soheib, a publié un très beau livre de rencontre avec le rabbin philippe haddad («lislam et le judaïsme en dialogue», editions de latelier). la fraternité résiste, comme une petite flamme secouée par un vent mauvais.quand elle est retournée dans son
quartier, après lagression du métro miromesnil, chrystelle, la jeune femme au
pendentif hébraïque, a retrouvé lépicier arabe de son quartier. elle lui a
raconté. il a pleuré de honte, sest excusé pour deux voyous dont il se sentait
responsable. et puis il est allé dans une bijouterie, pour lui acheter une
étoile de david. Ça paraît trop beau. cest pourtant vrai. claude
askolovitch claude askolovitchle nouvel observateur
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