ces enculés qui n'en sont pas - journal d'un homo en quete de sens
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ces enculés qui n'en sont pas
par urobore,
vendredi 3 novembre 2006 à 03:37 ::
:: jouons à l'intello
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j'abordais il y a une semaine la question du sens des mots sur mon podcast (voir confession sur l'oreiller n°19) et des aléas du langage. le hasard a voulu qu'une mini-tempête trollesque se soit déclenchée entre temps sur la blogosphère quand un certain koz (rien à voir avec notre grande dame, kozlika) a parlé d'"enculés" pour désigner les responsables brûleurs de bus à marseille. l'affaire révélée, réactions et contre-réactions, commentaires, argumentaires et contre-argumentaires, parfois brillamment rédigés (comme celui d'eustazio), se sont succédés.
traiter quelqu'un (hétéro supposé ou pas) d'enculé, ce serait une insulte homophobe. intuitivement, c'est séduisant.
sauf qu'il y a subtilité. un terme tel que "tapette", "enculé" ou "feuj / juif", est très souvent vidé de sa substance d'origine. c'est-à -dire qu'il comporte - historiquement - une dimension homophobe, raciste, antisémite, etc. qui est le propre d'une société donnée, mais qu'il ne signifie pas nécessairement que l'étiquette d'origine (enculé = homosexuel d'un point de vue péjoratif) soit présent dans l'esprit de celui qui le dit.
un jeune mec au vocabulaire limité traite un autre de tapette dans un lycée. le prof intervient et fait remarquer le caractère homophobe de la remarque. conséquence : le mec regarde le prof incrédule et dit au prof : "hein ? tapette, ça veut dire homosexuel ? mais alors, quand je traite mon frère de tapette, je le traite d'homosexuel ? je ne savais pas...".
même chose avec l'idée du "espèce de juif" ou "espèce de feuj" : le caractère historique antisémite de l'expression est claire, mais l'usage - lui - rend le terme dénué sans doute de référence à la "judaïté" de l'autre (le mec utilisant cette expression ignorant très clairement ce que signifie exactement ce qu'est "être juif").
il ne faut donc pas confondre l'interprétation sociale d'un mot de l'extérieur, l'usage de ce mot et le sens ontologique de ce mot. ce sont des choses très différentes.
car, dans un groupe donné, un langage peut avoir un sens que ne saisissent pas les observateurs extérieurs. et c'est bien connu : l'interprétation des propos d'autrui est dangereuse, à plus d'un niveau. elle mène à une possible rutpure de la communication, bien plus grande que celle que trahit l'incompréhension première des deux interlocuteurs (le prof et l'élève, dans les deux exemples donnés).
c'est ce qui fait que je lache couramment le terme d'"enculé" pour parler de quelqu'un que je considère comme un "gros connard", mais ceci tient à une échelle d'insultes qui n'a rien à voir avec l'homosexualité ("enculé" est pour moi une personne très mauvaise, alors que "connard" est une personne juste mauvaise).
et pourtant, je suis moi-même homosexuel. et revendicatif. et de gauche. et que je m'élève contre l'homophobie. la subtilité est que mon langage s'est construit dans une culture où le terme d'"enculé" signifiait "personne vraiment très méchante" et pas "homosexuel donc mauvais". malgré l'origine du terme. comme sans doute la majorité des gens qui n'imaginent nullement mentalement deux hommes pratiquant la sodomie lorsqu'ils insultent un chauffard sur la route.
ainsi, traiter quelqu'un d'enculé est pour moi la marque que notre société (et le langage, vecteur de la culture, qui va avec) est marquée par une homophobie historique. mais elle n'est pas, dans la bouche d'une personne x ou y, un propos homophobe. car la porte ouverte par ce genre d'interprétation peut amener un mal bien pire que l'homophobie supposée du langage. je comprends très bien les arguments de défense des jeunes homos non assumés (moi aussi j'ai fait mon coming-out et ai eu mes difficultés d'homophobie nombreuses à l'adolescence). ceci dit, il convient, d'une part, d'être très prudent et, d'autre part, de ne pas se tromper de combat : l'homophobie disparaîtra lorsque les jeunes accepteront qu'un de leur camarade ait ce type de sexualité et pas lorsque des termes comme "enculés" ou "pédés" seront interdits.
je dirais même que c'est tout le contraire : interdire ces termes n'en appellerait qu'à une frustration de l'expression et viendrait à jeter l'opprobe sur les homosexuels responsables d'une nouvelle dictature de la pensée. tout comme la crispation sur les termes visants les juifs et les arabes a peut-être une part de responsabilité (complexe et à démontrer, j'entends bien) sur le sentiment partagé par nombre de personnes finissant par se sentir agressées (sans raisons), comme dans un étau, jusqu'à dévier vers l'extrême-droite salvatrice. en empêchant de dire, on refoule dans l'inconscient les impensés et les non-dits : attention danger !
ne nous trompons pas de combat et réfléchissons bien aux implications de nos actes quand nous voulons condamner les propos qu'on suppose homophobes. ou racistes. ou antisémites. le remède pourrait être bien pire que le mal. peut-être vaudrait-il mieux agir sur les véritables causes de ces maux : l'information, l'éducation et la protection. les termes injurieux qui s'inspiraient de ces caractéristiques identitaires pourraient bien finir par disparaître d'eux-mêmes, ne devenant plus qu'une entrée dans des dictionnaires poussiéreux avec la mention : "inusité".
enculé (adj.masc., vx, inusité) : au xxème s., adjectif qualifiant une personne de forte méchanceté. etym. : empr. certainement au caractère homosexuel d'un individu, à une époque lointaine où la pratique homosexuelle était encore considérée comme une tare. (source : dictionnaire littré révisé, edition 2027).
(source de l'image détournée : groupe action gay et lesbien loiret)
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commentaires
1.
le vendredi 3 novembre 2006 à
08:29, par
laurent
merci de réussir à prendre un peu de recul dans ce débat. depuis le début, je me pince régulièrement pour être sûr que je lis ce que je lis…
2.
le vendredi 3 novembre 2006 à
19:24, par
zvezdo
je suis sur le flanc, quand même, quand je lis que "espèce de feuj" est une insulte de base.....
3.
le vendredi 3 novembre 2006 à
19:41, par
urobore
dans de nombreux lycées de zep, ça l'est, de la parole d'enseignants. a la subtilité près que les jeunes qui lancent ces insultes n'ont absolument pas la moindre idée de ce que signifie "juif". c'est là que c'est intéressant. c'est comme s'ils disaient "espèce de gros con".
4.
le samedi 4 novembre 2006 à
21:13, par
otir
ce qui me semble choquant dans ce que tu expliques, c'est que finalement tu voudrais dire que si on empêche les gens de proférér des insanités, on les rends homophobes - antisémites - racistes - rayer la mention inutile. là , où c'est carrément encore plus scandaleux, c'est de sembler trouver "normal" (?) qu'un qualificatif somme toute qui devrait être neutre comme le mot "juif", se retrouve être une insulte. il y a des gens qui peuvent avoir envie/besoin de dire "je suis juif", parce que c'est ce qu'ils sont, comme d'autres peuvent avoir envie/besoin de dire "je suis homo", sans que cela veuille nécessairement être entendu comme une insanité.
défendre à tout prix la liberté de profanité, ça, ça me semble un combat un peu, comment dire poliment, vain. cela me semble un peu plus sain d'apprendre à des jeunes élèves à ne pas manier la langue comme une arme de discrimination et de haine. il y a d'autres moyens de passer les crises d'énervement et les élans de rage.
5.
le lundi 6 novembre 2006 à
01:00, par
urobore
en fait, si on les empêche de dire dans des situations injustifiées, alors on encourage les indécis à être suspicieux vis-à -vis de ceux (les minorités) qu'ils ne connaissent pas. et cela apporte de l'eau au moulin de l'extrême droite (entre autres personnages politiques de petite envergure).
ensuite, je ne trouve pas "normal" que "juif" - un qualificatif comme un autre - se retrouve être une insulte. pourtant, il s'agit d'une réalité provenant d'un antisémitisme de société bien ancien (c'est exactement le même problème que pour l'homosexualité : être, dans les faits, un enculé, n'a rien d'"anormal" : j'ai déjà pratiqué la sodomie passive et donc, par définition, je suis, dans les faits, un enculé, au sens premier du terme). pourtant, ces termes ("juif" ou "enculé") sont, dans la bouche de ceux qui les utilisent, des insultes, sans savoir ce que recouvre l'idée sous-jacente à ces termes (enculé n'est pas employé pour "homosexuel" et juif n'est pas employé pour "du peuple juif"). et il est inutile d'aller aussi "loin" que dans des zones de zep : mon père qui, pas antisémite pour deux sous, dit à un de ses collègues radin : "ne fais pas le juif", au sens de "ne sois pas radin" (cf. préjugé ancien de juif = radin). cette insulte est d'une maladresse comparable à la vulgarité de l'usage de l'enculé sans qu'elle trahisse pour autant une forme d'antisémitisme quelconque si ce n'est celui du langage hérité de nos aïeux.
je crois, très sincèrement, comme le dit christian bobin dans le très bas, qu'on parle très souvent en somnanbule, dans le sommeil de la langue. par automatismes et par réflexes.
enfin, pour ce qui est d'apprendre à des jeunes élèves à ne pas parler pour discriminer et haïr, je crois que la censure (le mot est lâché, c'en est une) fait partie de ces choses qui empêchent l'apprentissage. je suis davantage convaincu à l'apprentissage de valeurs, de faits historiques, de faits sociaux, voire de faits politiques, plutôt que de bloquer le jeune élève en manque d'expression à une époque où - très justement - il veut s'exprimer. a plus forte raison lorsqu'il possède un mal-être hérité d'une situation sociale, économique voire identitaire difficile.
6.
le mardi 7 novembre 2006 à
19:58, par
bach
en effet ;o) si l'on devait proscrire tout ce qui a une connotation insultante pour une "communauté" donnée quelque part sur la planète, il y aurait un sacré boulot, et au final le monde serait sans doute pire (et bien plus policé en tout cas). d'après mes sentiments, la portée "subjective" de l'insulte dépend de sa référence à l'histoire ou à l'histoire (nuance). arrive ensuite un débat houleux qu'on va éviter ici : faut-il avoir été victime de persécussions en tant que groupe / communauté pour être protégé par une autorité / législation / jempassetdesmeilleurs (et autres discussions sur la taille de son h) ?
bref, je préconise pour ma part ... le respect. comme chez moi c'est un truc éminement réciproque, si vous estimez qu'on vous manque de respect, dites-le, expliquez-vous, il y a toujours moyen de discuter sinon ... la branlée de bar n'a rien d'homophobe ! (ok ok je sors)
7.
le dimanche 19 novembre 2006 à
13:12, par
julie
je suis entièrement en phase avec cette analyse. là est bien la saveur d'une langue : on parle pour soi ou avec soi, on parle de soi, on parle des autres, mais avec des strates de connaissances linguistiques diverses et des connotations qui bougent selon les cas. j'aime beaucoup l'insulte "enculé" car je trouve que dans la bouche d'un garçon hétéro à tendance homophobe ça l'enferme dans le cercle de ce qu'il rejette spontanément. le véritable homophobe est celui qui ne veut pas voir l'homosexualité et j'ai toujours soupçonné que celui qui par dédain, par goût du mépris, jette en pâture ce mot dégradant, parle de lui puisqu'il énonce avec force ce que son désir d'être ne veut pas être ! il y a du désir dans cette insulte ! un désir de l'interdit, du mystère, de l'inconnaissable... en tant que lesbienne, j'utilise ce mot avec une grande affection... et avec provocation bien sûr...
ps : bravo pour ce billet intéressant et mesuré, je vais lire votre blog régulièrement. le mien (coming oust) se veut une analyse décalée de la politique d'un point de vue gay, sans communautarisme et avec humour (quand j'y arrive !). a bientôt. julie
8.
le samedi 25 novembre 2006 à
10:56, par
urobore
coucou, julie ! je viens de découvrir votre blog et j'aime beaucoup. vous avez gagné un lecteur ! (il faudra que je mette à jour ma liste de blogs lus, un de ces jours, d'ailleurs - cela m'y fait penser)
j'apprécie vos propos : j'aime bien cette idée d'utiliser un mot avec affection et provocation. cela me parle, définitivement.
ah, et désolé pour le commentaire longtemps resté invisible : parce que vous parlez d'analyse, il est passé à la trappe, hu hu hu ! il va vraiment falloir que je trouve un meilleur filtre anti-spam parce que, là , ça devient impossible...
9.
le mardi 28 novembre 2006 à
14:40, par
julie
je suis super fière d'avoir urobore comme lecteur... et comme commentateur ! je passe aussi ici à plusieurs reprises. bravo. allez, bonne bourre ! (j'en fais trop, là ?)
10.
le mercredi 29 novembre 2006 à
15:30, par
urobore
meuh non, tu n'en fais pas trop ! et j'adore ton blog, en plus. donc, c'est un vrai plaisir que de t'avoir ajoutée dans mon agrégateur rss, hop !
il faudra que je trouve comment mettre à jour facilement la liste de mes blogs lus, cependant : je dois avoir 40 blogs dans mon agrégateur et il n'y en a qu'à peine plus d'une dizaine ici. or, je veux les ajouter pour leur donner un petit référencement, quand même ! et si je les lis, c'est parce qu'ils sont biens. et parce qu'ils sont biens, je veux que tout le monde les lise !
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fils rss - ça m'étonnne beaucoup de voir si peu de commentaires... urobore - wizmaster> merci pour le honfleur et pas honfleurs... urobore - ormegris> si c'est un corail, ce n'est pas un tgv.... ormegris - ton corail ne serait pas tgv par hazard ? endemion - j'ai pas tout lu des commentaires, je suis aussi assez... wizmaster - c'est "honfleur" chouchou :p sinon je dirais plutôt... jm - comme on le dit trop souvent malheureusement, c'est... urobore - bon, j'ai trouvé comment connecter mon ordinateur... zouick - y'a qu'a aller se faire un kebab ... allez pour rire,... f - bonjour je tombe sur ton blog par hasard et j'ai commencé...
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