scott ross

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[…] ensuite cela devient un peu obscur dans ma mémoire. je sais que je ne l'ai pas beaucoup connu à cette époque, mais, en 1968, il s'est présenté au concours de bruges. il avait dix-sept ans, de cela je suis sûr. et il a très bien joué, mais enfin, à dix-sept ans ans… il est arrivé en demi-finale ! il est venu me voir après, parce que c'est la coutume, à bruges : les candidats peuvent aller parler aux différents membres du jury pour leur demander leur avis. il est donc venu me voir, et j'ai vu qu'il était… déçu. je crois, vraiment, qu'il voulait avoir le premier prix. ce que je trouvais, peut-être, un peu… prématuré, mais en même temps assez sympathique comme attitude : j'ai compris tout de suite que là, il y avait quelque chose, que c'était un fonceur, un lutteur, et qu'il ne se contenterait jamais de moins que le meilleur. alors je lui ai tenu ce discours, je lui ai dit : " Écoutez, vous avez très bien joué, mais vous êtes quand même… il y a ceci, il y a cela, et puis vous savez… enfin, ce concours est très difficile… allez, disparaissez trois ans, et quand vous reviendrez à ce concours, car je veux vous revoir ici dans trois ans, je veux que vous reveniez avec l'intention de gagner ! " et puis… je sais qu'il a disparu, je ne l'ai plus revu pendant trois ans. je ne sais pas ce qu'il faisait, je crois qu'il était au conservatoire de paris mais, bon… il y a fait un passage, disons peu remarqué à cette époque là. enfin… remarqué oui, mais pas toujours pour les bonnes raisons, parce qu'il était déjà très iconoclaste et très… très original, et il inquiétait beaucoup les gens, enfin, certaines gens. tout ce que je sais après ça, c'est que… ma mémoire fait un saut et, en 1971, j'étais de nouveau membre du jury à bruges ; il est revenu, et cette fois-ci il a joué magnifiquement. il était habillé, je me souviens, en jeans et avait les cheveux sur les épaules ; son apparition sur scène a déclenché, déjà, un murmure d'étonnement dans la salle, il n'y a pas d'autre mot, parce que c'était un concours, vous savez : l'époque n'était pas la nôtre et les habillements étaient encore… disons qu'il y avait quelque chose d'un peu guindé dans tout ça, et les candidats se mettaient en dimanche pour venir faire le concours. il est arrivé en petit costume jeans, tout à fait décontracté, avec une démarche qui était bien la sienne. il a joué de mémoire, ce qui était peu commun dans le monde du clavecin, à l'époque, l'orthodoxie ambiante n'étant pas du côté de ceux qui jouaient de mémoire. il a fait une énorme impression et je me souviens d'un de mes collègues du jury se penchant vers moi, après l'exécution du prélude et fugue en fa dièse majeur du second livre de bach, pièce imposée, pour me dire : " il a joué cette pièce comme s'il l'avait composée lui-même ! " […] les deux autres épreuves ont été de la même qualité et donc il a obtenu le premier prix ! […] ensuite, il s'est produit le phénomène - nous sommes maintenant en 1976 - que, pendant les années entre 1971, date de son premier prix, et 1976, il a été peu connu. il a fait ce premier disque pour la maison stil, et je dois saluer un autre personnage de la vie musicale française, le directeur de la maison stil, alain villain, qui, le premier, a reconnu le talent de scott ross - je crois qu'il convient de le dire très haut - en lui confiant ce disque. c'est à partir de ce moment là que, sans nous consulter, il y a eu une certaine prise de distance entre scott ross et moi, ce que j'ai trouvé très bien, parce qu'au commencement de sa carrière, il ne fallait pas que je sois trop présent dans sa vie. cette présence aurait été un peu difficile à… gérer, une certaine lourdeur aurait pu s'installer… moi qui venais de faire et faisais beaucoup de choses et qui avais… j'ai quoi ? la différence d'âge, c'est exactement vingt ans. c'était très bien qu'il prenne cette distance, je l'ai encouragé à le faire mais nous n'en avons jamais parlé, bien sûr, c'est une chose qui s'est faite très naturellement. un beau jour, j'ai entendu dire qu'il faisait une intégrale rameau. là, je dois dire que c'était très amusant parce qu'on ne s'était pas consultés et il se trouve que, moi aussi, je faisais une intégrale rameau ! le reste, ça appartient à tout le monde : c'est l'histoire… je crois qu'on retracera la carrière publique de scott ross mieux que je ne saurais le faire aujourd'hui, mais j'ai pensé vous livrer ces quelques souvenirs de l'époque où il était quand même moins… il n'était pas encore devenu scott ross ; il n'était pas devenu " tel qu'en lui-même ". le personnage avait quelque chose de paradoxal, d'un peu provocant. est-ce que ça se retrouvait dans son jeu, ou est-ce qu'au contraire, son jeu était très classique ? ah ça, j'ai une idée très précise sur la question que vous soulevez là : scott n'a pas toujours été l'iconoclaste et cet être paradoxal propagé par son image publique. croyez-le ou non, il avait déjà été un garçon rangé ; je ne l'ai pas connu à cette époque, mais on me l'a dit. seulement voilà, il s'est opéré chez lui, je ne sais pas… dans les années où il était au conservatoire de nice, une transformation. oh ! ça n'était pas si rare à l'époque, vous vous souvenez que c'était l'époque de la beat generation et puis plus tard… un peu plus tard, des hippies et tout ça, et puis il a donné en plein là-dedans. et alors, avec le passage des années, il est devenu… c'est ce qui frappait beaucoup les gens ; je crois que ça exerçait une espèce de fascination étrange sur beaucoup de gens : voilà quelqu'un qui visiblement était un musicien sérieux mais qui cultivait une certaine extravagance dans sa vie privée, même dans sa vie publique. que dis-je ? dans sa vie publique d'abord, et qui avait un amour immodéré du paradoxe dans son discours ; il partageait d'ailleurs cette façon d'être avec un autre contemporain célèbre et, malheureusement, lui aussi disparu, glenn gould. on pense, un peu, à glenn gould quand on pense à certaines des déclarations que scott ross a faites dans des interviews ou des articles. ce que je veux dire, surtout, et votre question, d'ailleurs, définit bien la réponse, c'est que scott ross, malgré un goût du paradoxe, n'a jamais fait passer ce côté-là dans sa musique. c'est l'un des clavecinistes les plus classiques qui soient, et c'est une chose que, seul, un musicien peut dire et apprécier pleinement, je crois. voilà, je pense, une chose qu'il faudra tenir toujours bien présente ; c'est que, au clavecin, tout ça était oublié, et il avait une approche absolument classique et même, il s'effaçait derrière la musique. il avait un respect des œuvres étonnant pour son âge et si je puis dire, un respect total pour la musique : jamais, me semble-t-il, il n'a utilisé les œuvres qu'il jouait pour étonner gratuitement son public ou pour se mettre en valeur, lui, avant le compositeur. propos recueillis par martine kaufmann (entretien radiophonique sur france musique, le 23 juin 1989) photo © marion kalter - © ina, mémoire vive 1999 - reproduction interdite abeille musique amcd – siège social ; 13, rue du mail - 75002 paris – france – mentions légales allo commandes france : 08 92 259 770 (0,34 €/mn) - fax : 01 49 26 01 41 customer service (abroad) : +33 1 49 26 97 70 - fax : +33 1 49 26 01 41 recrutement & stages

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