:// mohamed kacimi - beyrouth-illuminations

:// mohamed kacimi - beyrouth-illuminations :// beyrouth-illuminations par mohamed kacimi, extrait du recueil liban, écrits nomades 2 éditions lansman, 2001 l'avenir appartient à ceux qui auront la mémoire la plus longue. rabbi nahman de braslav 1/ ce sont des villes ! c'est un peuple pour qui se sont montés ces libans de rêve ! des chalets de cristal et de bois qui se meuvent sur des rails et des poulies invisibles. les bacchantes des banlieues sanglotent et la lune brûle et hurle. des châteaux bâtis en os sort la musique inconnue. toutes les légendes évoluent et les élans se ruent dans les bourgs. le paradis des orages s'effondre. les sauvages dansent sans cesse la fête de la nuit. et, une heure, je suis descendu dans le mouvement d'un boulevard de bagdad où des compagnies ont chanté sous une brise épaisse, circulant sans pouvoir éluder les fabuleux fantômes des monts où l'on a dû se retrouver. quels bons bras, quelle belle heure me rendront cette région d'où viennent mes sommeils et mes moindres mouvements, aux abattoirs, dans les cirques, où le sceau de dieu blêmit les fenêtres. du soleil en miettes. un ciel en poudre. une mer déchirée. une ville érigée en forme de trou et de faille entre terre et ciel et dont les pistes d'atterrissage finissent toutes à la banlieue sud, raz-de-marée chiite, fait de vagues d'enfants affamés de dieu et d'écumes noires de femmes voilées qui dévalent le soleil comme des taches d'encre de chine. sur les murs flottent les drapeaux noirs du hezbollah marqués de la profession de foi : il n'y a de dieu que dieu. juste en face, et à perte de vue, des panneaux tous frappés d'une pub de nana trop maigre, en noir et blanc, string et soutif 93 b, et qui murmure le long des faubourgs embouteillés d'églises et de mosquées d'orient : calvin klein, calvin klein. et les murs répètent et lui crient au visage : allah, allah. allah. tels pourraient être les deux hymnes du liban, terre jaillie d'une gueule de bois qui se croyait suisse d'orient et se réveille banlieue chaude de damas ou de tel-aviv. pays trop ado, peut-être, qui ne sait quoi choisir entre l'appel du cul et celui du bon dieu. je m'habituai à l'hallucination simple : je voyais très franchement une mosquée à la place d'une usine, une école de tambours faite par des anges, des calèches sur les routes du ciel, un salon au fond d'un lac ; les monstres, les mystères ; un titre de vaudeville dressait des épouvantes devant moi. puis j'expliquai mes sophismes magiques avec l'hallucination des mots ! si les imams vous font peur, fuyez à l'est, à l'est toujours, assurait le chauffeur du taxi. a l'est, c'est plus beau que paris. achrafieh, rue monot, les façades ocre et bleues jettent leurs bougainvilliers sur les vitrines transparentes de casio, des grappes de mercedes noires et des caravanes de jaguars déversent des cortèges de jeunes filles vêtues en minijupes noires, cigare au bec, au milieu d'une haie de miliciens en ray ban qui ont recyclé leurs kalachnikovs en nokias cellulaires. au bar de la closerie des lilas, à beyrouth ; il faut lier langue avec tout le monde - vous venez de paris ? - presque ! - pour un marché ? - non, pour l'écriture ! - vous n'avez pas une autre affaire ? - non, juste écrire sur la guerre ! - mais quelle guerre ? - la guerre du liban. - vous n'êtes vraiment pas dans les affaires, il n'y a pas eu de guerre. vous voulez un arak ? - merci. - sahtaine, santé, vous êtes jeune, méfiez-vous de l'écriture... ici tu touches à la poésie, tu fais faillite. o nuit d'orient, où nerval chialait balkis au fond des verres sous le ciel de cette montagne du liban qui monte et monte vers la basilique blanche et privée de cèdres. a la veille des rameaux, la vierge marie donnait le vertige à la méditerranée. le vent de dieu jetait des glaçons aux marres pleurant, je voyais l'or et ne pus boire. j'attendais dans cette nuit dédiée à marie l'ascension de la voix d'oum ou de celle de fairouz quand une autre messe balaye au mistral les verres de chivas et de guinness : j'ai du sang dans mes songes, un pétale séché quand des larmes me rongent que d'autres ont versées la vie n'est pas étanche, mon âme est sous le vent les portes laissent entrer les cris même en fermant s'il suffisait qu'on s'aime, s'il suffisait d'aimer des touristes canadiens sont ravis : nous aimons beaucoup le liban c'est un peu le québec arabe libre. un prêtre libanais lève son verre : que le seigneur bénisse céline, son mari est d'origine libanaise. un dramaturge français s'étrangle : même à la bastoche on ne m'a pas fait ça. un romancier suisse prend note : ici tout est suspect, et nous ne sommes qu'en territoire chrétien. un videur arménien soupire : tout ça finira en rade musulman. monique sort son portable : mais que fait l'ambassade de france ? surgit alors une ombre brune, hala, sunnite de père, maronite par sa mère, née aux etats-unis, élevée en allemagne, enfance au mexique, fugues en côte-d'ivoire, études brèves à paris, échouée à beyrouth pour faire un film sur hamra, l'ex-saint-germain-després. et si le quartier latin parisien est mort, non pas à cause des boutiques qui font de belles fringues, mais surtout celles qui font de la mauvaise littérature, celui de beyrouth n'a pas eu la chance de recycler le bois de ses barricades en morceaux de sainte-croix à vénérer rue des saints-pères ou jacob. - ii faut aller à hamra, à l'ouest, crie hala, là-bas, il reste un peu de beyrouth. je vois que mes malaises viennent de ne m'être pas figuré assez tôt que nous sommes en occident. les marais occidentaux ! non que je croie la lumière altérée, la forme exténuée, le mouvement égaré. bon ! voici que mon esprit veut absolument se charger de tous les développements cruels qu'a subis l'esprit depuis la fin de l'orient. j'envoyais au diable les palmes des martyrs, les rayons de l'art, l'orgueil des inventeurs, l'ardeur des pillards ; je retournais à l'orient et à la sagesse première et éternelle. il paraît que c'est un rêve de paresse grossière ! pourtant, je ne songeais galère au plaisir d'échapper aux souffrances modernes. je n'avais pas en vue la sagesse bâtarde du coran. n'est-ce pas parce que nous cultivons la brume ! nous mangeons la fièvre avec nos légumes aqueux. et l'ivrognerie ! et le tabac ! et l'ignorance ! et les dévouements ! tout cela est-il assez loin de la pensée de la sagesse de l'orient, la patrie primitive ? pourquoi un monde moderne, si de pareils poisons s'inventent ! dans la nuit de beyrouth, toujours creusée dans la mer ou dans les étoiles, entre dépotoirs et bateaux crevés en rade, nous avons traversé ce qui fut la ligne de démarcation entre les deux villes, la rue de damas. noir, et nous voilà en terre d'islam. chez abou moussa, un boui-boui, des bancs en bois, de la bière éventée, et des colonnes de vodka stolishnaya. le dramaturge dit beyrouth est désormais fréquentable. la fumée se dissipe, sur les murs du rade, de haut en bas, et dans l'ordre, des photos anciennes, lénine, trotski, staline, boukharine, hô chi minh, et même pour les amateurs d'histoire antique au balcon du kremlin : zinoviev et kamenev, un médaillon de rosa luxembourg ; et bien sûr noir sur rouge, le che. - putain, c'est plus chaud que radio nostalgie, s'exclame françois, le caméraman de hala (il est grec orthodoxe, vingt ans, il n'a pas connu la guerre qui n'a pas eu lieu). - hala, crie françois, je te prends le gros moustachu là, en gros plan, c'est le mec des beatles. zoom sur staline. et voilà joseph vissarionnovitch djougachvilli transfiguré par le tact libanais en ringo starr. l'orient-le jour - 10 mai la demande du dollar s'est sensiblement contractée sans pour autant céder la place d un moindre développement de l'offre en dehors de la banque du liban ont indiqué les cambistes. cette dernière a maintenu sa fourchette d'intervention en l'état, entre 1501,00 livres libanaises à l'achat et 1541,00 livres libanaises à la vente. j'avoue que beyrouth fut pour moi un rêve d'adolescent. beyrouth, beyrouth, il y a vingt ans, c'était le mai 68 d'orient, avec de vrais insurgés et de la poésie qui s'écrivait à mots réels. je m'étais fait une overdose de l'etat et la révolution, j'avais pris un billet pour damas. la guerre faisait rage au liban, c'était en 1978, l'aéroport était fermé, je prends un taxi. À la frontière syro-libanaise, tout le monde descend, tout le monde se fait fouiller, l'officier syrien ausculte, fouille, échographie mon passeport, - vous, vous ne passez pas. - je veux aller à beyrouth. - mais je ne comprends pas ce qu'un algérien peut faire au liban, c'est la même chose que chez vous. - comment ? - oui, vos deux pays sont une invention de la france. demi-tour sur damas ! plus tard, en 1981, lors du siège de la ville par l'armée israélienne, je découvrais le témoignage d'une femme médecin qui travaillait à tell zaatar, camp palestinien décimé et brûlé en 1976 par l'aviation syrienne - car, et je tiens à le dire : le monde arabe compte plus de cadavres palestiniens que tous les israël réunis - et le médecin racontait qu'au premier jour du bombardement de beyrouth par tsahal, elle avait vu débarquer de londres s.n., un grand poète arabe qui lui a dit "je viens assister avec vous à la mort de la poésie". j'étais encore sous l'effet de l'overdose de l'État et la révolution, je me suis dit : voilà ce qu'est un poète, quelqu'un qui vit au coeur de la déchirure. j'irais un jour à beyrouth. a l'aurore, armés d'une ardente patience, nous entrerons aux splendides villes. des années plus tard, j'accueillais à paris le grand homme et lui disais mon admiration, mais il ne voyait pas de quoi je parlais. - beyrouth, oui, je me souviens, la guerre, elles étaient toutes moisies les marlboro. le sous-sol, le quatrième, j'ai bu. j'ai pas lâché mon verre durant mille jours de bombardements. j'ai ouvert les yeux, j'étais au port de larnaka, à chypre sur un bateau militaire français qui avait évacué les palestiniens. j'ai acheté des marlboro, pas des trafiquées comme à beyrouth. depuis ce jour-là, j'ai arrêté avec l'État et la révolution. beyrouth m'a sauvé du lyrisme et de la révolution. o le plus violent paradis de la grimace enragée ! pas de comparaison avec vos fakirs et les autres bouffonneries scéniques. dans des costumes improvisés avec le goût du mauvais rêve ils jouent des complaintes, des tragédies de malandrins et de demi-dieux spirituels comme l'histoire ou les religions ne l'ont jamais été. chinois, hottentots, bohémiens, niais, hyènes, molochs, vieilles démences, démons sinistres, ils mêlent les tours populaires, maternels, avec les poses et les tendresses bestiales. ils interpréteraient des pièces nouvelles et des chansons "bonnes filles". maîtres jongleurs, ils transforment le lieu et les personnes, et usent de la comédie magnétique. les yeux flambent, le sang chante, les os s'élargissent, les larmes et des filets rouges ruissellent. leur raillerie ou leur terreur dure une minute, ou des mois entiers. j'ai seul la clef de cette parade sauvage. le vent se lève, il n y a plus de beyrouth, cette ville ne tombe pas en poussière, elle se reconstruit en débris d'âme et de mémoire. la place des martyrs, la place des canons, coeur de la cité, a été transformée grâce au génie de l'État en parking, c'est comme si on rasait le nil au caire pour mettre à la place un échangeur et une bretelle de sortie. autour, tous les immeubles écrivent encore des anthologies des trous. combien de milliards de balles ont traversé l'air de cette ville, elles devaient être plus nombreuses que les étoiles du ciel et les grains de sable de la mer. les balles ont tout griffé, blessé, marqué, mais toutes ont contourné, avec une délicatesse d'ostéopathe, le boulevard des banques, il en est sorti indemne et même clinquant de ce verdun du soleil qui aura duré dix-sept ans et fait cent cinquante mille morts, mais qui n'a pas laissé un grain de poussière sur la façade de la bourse. tel est le génie de la civilisation libanaise pouvoir ravager l'eau et l'écriture, le feu et ta chair, brûler l'air et l'amour, mais éviter religieusement de froisser le moindre billet vert. je suis sûr qu'aucun criminel du liban ou d'israël n'aurait osé violer l'espace et la vie des camps de sabra et de chatila, si les enfants de palestine avaient juste sur leurs portes en carton, ou mieux, collé à leur cou, un logo d'american express. l'orient-le jour - 13 mai de nouvelles études montrent que les limaces, les escargots et les cafards souffrent aussi. c'est la conclusion d'un colloque organisé par la fédération britannique pour le bien-être des animaux. des études menées à l'université de cambridge ont démontré que les vaches peuvent réagir de manière émotionnelle. une autre étude a révélé que les moutons, souvent considérés comme des animaux simplets, sont en fait capables de distinguer deux personnes. 2/ le théâtre antique de byblos sort droit de la mer, il est taillé dans une avalanche de genêts, de tombes de phénicie et de mouettes. au milieu de l'amphithéâtre vide, le dramaturge lit la vie de byblos "la première maison date de plus de cinq mille ans, c'est pourquoi on a tendance à la considérer comme la plus ancienne ville du monde et à chaque ère elle a changé de nom. les egyptiens la nommaient négau, les phéniciens l'appelèrent gébal. les grecs l'ont désignée sous le nom de byblos, d'où le mot bible ; car elle est le lieu de naissance de l'alphabet. les croisés en ont fait gibelet, et les arabes lui ont restitué l'ancien nom de jbeil. aujourd'hui, on l'appelle indifféremment byblos ou jbeil". comme le site antique a été classé patrimoine mondial par l'unesco, les libanais l'ont enrichi d'une autoroute qui le coupe en deux, d'un fast-food qui en fait l'épicentre et d'un foyer catholique, le saint rosaire, rattaché à la congrégation de sainte myriam du matriarcat maronite qui accueille des jeunes filles de bonne famille et que l'ambassade de france a élu comme un lieu de résidence, sûr, pour l'accueil de ses écrivains qui doivent représenter en ces terres de subversion et de troubles la gloire et la bonne tenue de la littérature française. lève la tête : ce pont de bois, arqué ; les derniers potagers de samarie ; ces masques enluminés sous la lanterne fouettée pat la nuit froide ; l'ondine niaise à la robe bruyante, au bas de la rivière ; ces crânes lumineux dans les plants de pois - et les autres fantasmagories. des routes bordées de grilles et de murs, contenant à peine leurs bosquets, et les atroces fleurs qu'on appellerait coeurs et soeurs, damas damnant de longueur. le matin où avec elle, vous vous débattîtes parmi les éclats de neige, les lèvres vertes, les glaces, les drapeaux noirs et les rayons bleus, et les parfums pourpres du soleil des pôles, - ta force. douceurs ! - les feux à la pluie du vent de diamants jetée par le coeur terrestre éternellement carbonisé pour nous. - o monde ! les brasiers et les écumes. la musique, virement des gouffres et choc des glaçons aux astres. o douceurs, ô monde, ô musique ! et là, les formes, les sueurs, les chevelures et les veux, flottant. et les larmes blanches, bouillantes, - ô douceurs ! - et la voix féminine arrivée au fond des volcans et des grottes arctiques. sur la plage passe anne, un être de beauté, échappé du limousin : - bonjour, je cherche le théâtre antique. - c'est tout droit, au milieu des vagues. - il n'y a personne ? - si, un dramaturge de lyon est en train de se lire, tout seul. - dommage. - vous n'aimez pas le théâtre ? - si, beaucoup, mais j'ai lu tellement d'auteurs contemporains que je voulais voir enfin un monument, une ruine, seule, vide, échappée à théâtre ouvert. anne regarde alors la mer. elle est retrouvée ! quoi ? l'éternité. c'est la mer mêlée au soleil et elle plonge dans cette mer qui sent le soufre et les lauriers-roses que l'on brûle, et reçoit sur la gueule une vache morte. l'orient-le jour - 14 mai un habitant des emirats installé aux etats-unis a répudié par e-mail sa femme restée au pays, rapporte le daily gulf news. d'après le quotidien, le tribunal devra statuer sur la valeur juridique du message électronique au regard des lois islamiques en vigueur dans les emirats. anne traumatisée a raté son avion. ii faut prévenir sa famille - s'il vous plaît, la poste ? - c'est pourquoi faire ? - pour téléphoner - vous retardez, il n'y a plus de téléphone fixe au liban. tout le monde est au cellulaire. - c'est combien un cellulaire ? - cinq cents dollars parce que la dame saigne un peu. - on peut envoyer un fax ? - mais vous venez de sumer, il n'y a plus de fax au liban, net phone, cyber, mail, hot mail. - c'est combien pour envoyer un fax par mail ? - où? - chez sa famille dans le limousin, à saint-yrieix-la perche. - c'est cinq dollars ou dix dollars. - c'est quoi la différence ? - a cinq, on fait semblant de l'envoyer et à dix on l'envoie vraiment. survient alors jo, auteur libanais qui résout pour nous cette énigme de la vache d'orient : durant la guerre, les plaines de la bekaa étaient devenues un vaste champ de cannabis contrôlé par les syriens et les israéliens, les plantations étaient assurées par les paysans chiites libanais, la récolte était acheminée vers chypre par les ouvriers palestiniens sunnites et l'argent atterrissait dans les banques juives, chrétiennes et musulmanes de suisse. pour guérir le liban de cette délinquance, les américains ont demandé l'arrachage des plantations et, en dédommagement, ils ont offert des vaches normandes aux paysans chiites. seulement, les pauvres ruminants se nourrissent, non pas de farine animale, mais d'une herbe devenue hallucinogène parce qu'elle pousse sur un sol imbibé de cannabis depuis l'invention de l'écriture et la légende de gilgamesh. alors des fois, les vaches quand elles abusent trop du pétard planent un peu beaucoup aux abords des falaises et plouf. selon jo, les tomates de la bekaa s'arrachent à prix d'or et se vendent sous le manteau, rue monot. quelquefois je vois au ciel des plages sans fin couvertes de blanches nations en joie. un grand vaisseau d'or, au-dessus de moi, agite ses pavillons multicolores sous les brises du matin. j'ai créé toutes les fêtes, tous les triomphes, tous les drames. j'ai essayé d'inventer de nouvelles fleurs, de nouveaux astres, de nouvelles chairs, de nouvelles langues. j'ai cru acquérir des pouvoirs surnaturels. eh bien ! je dois enterrer mon imagination et mes souvenirs ! une belle gloire d'artiste et de conteur emportée !   3/ il faut aller à tyr, dans le sud, j' ai là-bas des amis comédiens palestiniens, dit le dramaturge. dans le sud-liban, les blindés d'israël détournent l'eau et ses avions le soleil. - bonjour, monsieur, nous cherchons... - ah, la nécropole royale de tyr, les traces d'hiram, l'architecte libanais de salomon, les vestiges datent du xvie avant jésus-christ, vous pourrez y admirer... - non, on cherche le camp pales... - excusez-moi, je ne suis pas d'ici. - bonjour, monsieur, nous cherchons... - l'hippodrome de tyr, à trois cent vingt mètres tout droit, on peut y voir les traces du char d'alexandre le grand, et de même.. - non, des palestiniens ! - excusez-moi, je comprends très mal le français, salam alaikoum. - bonjour, monsieur, nous cherchons le... - le temple de bacchus, ah... - non, des palestiniens ! - que dieu vous garde, si vous ne savez pas où aller, ma maison vous est ouverte. tfadhalou. - bonjour, monsieur, nous voulons voir des pal... - que le seigneur vous préserve des mauvaises pensées, mes enfants. au liban, les palestiniens qui étaient omniprésents, il y a dix ans, ont subi le sort des téléphones fixes, ils ont disparu du paysage, comme les fax, pire, les stencils. zappés à la libanaise. le liban fonctionne effectivement comme bureau d'ordinateur pc ou mac : dossier beyrouth virussé ? clic poubelle, plus de ville ! dossier palestinien, trop lourd, trop de place sur le disque dur ? mémoire insuffisante ? double clic désinstaller, poubelle ; clic, vider poubelle triple clic. dossier occupation syrienne, le nom du fichier pas bon ? double clic, renommer, effacer occupation. mettre à la place fraternisation. plus de traces de cinq cent mille syriens qui occupent le pays. 80% de libanais vivent en dessous du seuil de pauvreté ? pas de problème, sélectionner tout, cliquer sur masquer tous les repères et si l'ordinateur vous demande d'enregistrer le changement cliquez sur non. l'écran affiche alors pauvreté liban : 0 ko. je suis le saint, en prière sur la terrasse, compte les bêtes pacifiques paissent jusqu'à la mer de palestine. je suis le savant au fauteuil sombre. les branches et la pluie se jettent à la croisée de la bibliothèque. je suis le piéton de la grand'route par les bois nains ; la rumeur des écluses couvre mes pas. je vois longtemps la mélancolique lessive d'or du couchant. je serais bien l'enfant abandonné sur la jetée partie à la haute mer, le petit valet, suivant l'allée dont le front touche le ciel. les sentiers sont âpres. les monticules se couvrent de genêts. l'air est immobile. que les oiseaux et les sources sont loin ! ce ne peut être que la fin du monde, en avançant. nous trouvons enfin le chemin du camp, caché par des talus et des blindés. selon une très poétique loi libanaise, dite loi du retour, tous les palestiniens, chassés d'israël en 1967 ou 1948, sont en simple transit, le temps de retrouver le chemin perdu de la terre promise, alors il leur est interdit de construire en dur, d'acheter des briques, du ciment ou du plâtre ou même une ampoule électrique. des fois qu'ils auraient l'envie de rester un jour ou deux de plus. un jeune me dit : le liban c'est notre boat-peuple, empli d'un peuple de passagers clandestins qui dérive depuis 1948. en israël, ça aurait été plus simple, je me serais battu avec l'israélien en lui disant ceci est ma terre, et l'israélien m'aurait dit non, c'est la mienne. et même s'il me tue, je serais mort pour un match nul, parce que nous avons raison tous les deux. ici, on ne peut même pas mourir car nous n'avons même pas le droit de vivre, pas aux yeux des libanais. l' orient-le jour attiré par la beauté de marwa, 22 ans, étudiante en anglais, salim, 46 ans, s'est présenté pour l'épouser en se faisant passer pour un officier de police. la famille bourgeoise qui a découvert qu'il n'était qu'électricien l'a éconduit en raison de "l'incompatibilité de niveau culturel et social ". dépité, l'amoureux a fait tirer à des milliers d'exemplaires la photo de sa bien-aimée qu'il recouvre de déclarations d'amour et de fidélité qu'il placarde dans toutes les stations de métro du caire. a la demande de la mère de la jeune fille, l'amoureux a été interné dans un asile psychiatrique pour atteinte à l'honneur de la famille. dans le camp, plus de drapeaux de palestine, aucun portrait d'arafat. les murs sont muets. le lieu abrite trente mille personnes qui travaillaient pour cinq dollars, huit heures par jour dans les champs, les syriens sont arrivés, ils se proposent de faire dix heures par jour pour quatre dollars. des milliers de palestiniens ont ainsi disparu du marché. l'école est prise en charge par les nations-unies, la scolarisation se fait en anglais car la palestine était sous mandat britannique, passée l'école primaire, les petits palestiniens qui ont les moyens peuvent rejoindre l'école libanaise où l'enseignement est exclusivement en français, car le liban était sous mandat français. mais ceux qui ne veulent pas faire d'études ont une consolation, la loi libanaise interdit aux palestiniens l'exercice de plus de quatre-vingts professions qui s'échelonnent entre veilleur de nuit et médecin. dans la plus totale clandestinité, les palestiniens ont réussi à faire rentrer dans le camp du béton, du plâtre et du ciment pour construire un théâtre en dur, un théâtre qui défie la loi du retour, de 40 m2 environ. le metteur en scène se plaint de l'architecte : le plateau ne fait qu'un mètre de profondeur, sur trois de largeur. l'architecte lui répond - si tu veux faire sérieusement du théâtre, commence par céder la scène au public. l'orient-le jour - 18 mai au koweit, un dignitaire religieux a renversé une fille de douze ans avec sa voiture et ne lui a pas porté assistance de peur de rater la prière du soir à la mosquée. le cheikh, âgé de 65 ans, a assuré à la police qu'il avait l'intention de revenir sur les lieux de l'accident après la prière pour secourir la fillette. celle-ci d'origine indienne est morte quelques heures plus tard à l'hôpital. 4/ nuit de cauchemar à byblos, l'aviation israélienne bombarde les principales centrales électriques du pays. les missiles partis des avions qui venaient de la mer ont touché le coeur des centrales du pays, tripoli et beyrouth. plus de lumière, ni d'ascenseur, ni même de mail. l'orient-le jour - 19 mai un pâtissier salarié du magasin intermarché de hazebrouck, france, est menacé de licenciement par son employeur pour avoir écrit "proffession de foi" au lieu de "profession de foi" sur un gâteau destiné à fêter une communion. la cgt a protesté contre cette décision. les avions israéliens se retirent, le théâtre de la ville, al madina, ouvre ses portes pour un récital de poésie, à la lumière des bougies et des générateurs. je rencontre un vieil ami poète : - alors, comment ça va avec ces événements ? - mal, tu as entendu le premier poète ce matin, le pauvre, il fait du "sous-michaux". il faut arrêter avec ce symbolisme mystique cela fait trop de dégâts au liban. arrêt sur le théâtre de la ville, dévoré par les tirs. un vieux assis sous le porche répète sans cesse aux passants : - oum kalsoum a chanté ici pour la première fois. ce théâtre est la plus belle ruine du liban. il vous fera oublier les colonnes d'anjar et celles de tyr et même les temples de baalbek. ses murs ont reçu tellement de tirs qu'ils sont devenus presque le mémorial de toutes les guerres de l'homme. là, tout saigne dans la poussière et le vide, les costumes tailladés à coups de baïonnettes, les chaises frappées de croix et de croissants, la scène trouée de roquettes, et les rideaux qui ont servi de linceul. c'est l'unique scène au monde qui donne une tragédie sans avoir besoin de dramaturge, de comédiens et encore moins de metteur en scène, et entre les murs résonnait la voix d'arthur : exilé ici, j'ai eu une scène où jouer les chefs-d'œuvre dramatiques de toutes les littératures. je vous indiquerais les richesses inouïes. je vois la suite ! ma sagesse est aussi dédaignée que le chaos. qu'est mon néant, auprès de la stupeur qui vous attend? je voulais plaider pour qu'on inscrive le théâtre de beyrouth au patrimoine mondial de la solitude. soudain le vieux se met à crier : - ils vont en faire un restaurant, un restaurant. (la plus grande société de bâtiment est aux mains de hariri, premier ministre, qui a acheté le théâtre. et pour ceux qui ne connaissent pas le personnage qu'ils imaginent un instant matignon squatté par bouygues rachetant la cartoucherie pour en faire une taverne du maître kanter.) - il faut faire quelque chose dit le dramaturge. l'orient-le jour - 20 mai la lettre de licenciement récemment reçue par le pâtissier de l'intermarché de hazebrouck, ren voyé pour avoir écrit ' "proffession" - avec deux f - "de foi" sur un gâteau de communion, comportait aussi une faute d'orthographe. en ouvrant la lettre, fabrice gouillart a eu la surprise de découvrir cette phrase : "c'est après la venue d'un huissier que vous avez dénié accepter de quitter votre poste de travail". la cgt a souligné devant le tribunal cette confusion patronale grave entre les verbes dénier et daigner. - bonjour, monsieur le responsable de la culture, c'est pour... - vous venez d'où ? - de paris. - pour des affaires ? - non, pour le théâtre. - ce qui n'est pas une affaire ! vous avez visité le musée ? - non. - vous ne connaissez pas le musée qui est plein et vous venez me parler d'un théâtre qui est vide. - ii paraît que.. - tout au liban se fait avec les il paraît que : la politique, les affaires, la guerre, le poker, les courses, même l'amour, surtout l'amour qu'est-ce qu'on peut pas faire avec il paraît que... - le théâtre ? - non, là au moins c'est pas il paraît que, c'est du réellement que... - vous n'allez pas le raser le... - tant pis, pour être classé ici il faut grec, romain, phénicien. déjà dans ce pays il y a plus de monuments historiques que d'hommes. - et la mémoire ? - ah, non, on n'a plus de place ni sur le disque virtuel ni sur le dur, nous, on enregistre depuis sumer, vous voyez un peu le volume en giga, saturé, même mon fils hier il me demande : papa pourquoi il y a après jésus puisque tout s'est passé avant chez nous ? - seulement pour un espace d'expression ? - merci, nous sommes l'unique etat du monde a avoir laissé à chaque citoyen l'entière liberté, durant dix-sept ans, de liquider qui il veut et comme il veut et d'enfreindre toutes les lois possibles et inimaginables sans avoir à payer un millième de que vous payez pour un stationnement interdit à paris ou à aix. si cette catharsis ne marche pas, c'est pas en deux actes de renode que vous allez les guérir. - il faudra bien un jour parler de la guerre ! - de quoi ? - du conflit. - la paix laisse aussi des traces très difficiles. elle ne fait pas des trous sur les murs. c'est tout. - j'ai remarqué qu'à travers le liban il n'existe aucune carte postale du pays d'aujourd'hui, après la guerre, après la paix, pardon. - chez nous une photo après la guerre, c'est une photo contre la vie. - le théâtre est en train de mourir ! - paix à son âme. on lui donnera à titre posthume la nationalité libanaise. vous voulez que je vous dise, la vraie scène est ailleurs, la vraie comédie et la vraie tragédie on la joue tous les jours, un petit pays dont les frontières ne sont reconnues par personne, que tout le monde nie dans la région et que tout le monde veut sauter en même temps, sans constitution, ni rien, avec dix-sept communautés qui ne sont liées que par la haine qu'elles se portent, des fois trop de dialogue de culture mène droit aux scènes de ménage et au crime passionnel, les maronites exècrent les musulmans qu'ils considèrent comme des envahisseurs, les musulmans sont convaincus que les maronites sont des chiens d'infidèles, en même temps quand ils font affaire, les sunnites assurent aux maronites que les druzes sont des hérétiques alors que dans leur banlieue les chiites racontent à leurs enfants que l'ennemi ce n'est pas le chrétien mais le sunnite dont les ancêtres ont tué il y a 14 siècles l'imam des chiites, et quand ce sont des laïcs qui parlent, c'est la même chose, mon voisin du troisième qui se dit descendant chaldéen d'origine n'adresse pas la parole à l'arménien d'en face car il n'entre avec son peuple dans l'histoire qu'au troisième siècle. sans compter que nous avons un mouvement islamiste, le hezbollah, qui fait élire sur ses listes à l'assemblée nationale des députés chrétiens qui demandent au festival de baalbek l'interdiction du cantique des cantiques parce que ce passage de la bible fait l'éloge de salomon, donc prend fait et cause pour le sionisme, sans oublier les musulmans sunnites qui sablent du arak avec des israéliens quand ils bombardent les palestiniens sunnites eux aussi, car les sunnites aiment beaucoup dieu mais ils ont horreur, tout comme les chrétiens, des gens qui jettent des pierres pendant que les croyants font des affaires, et les ex-penseurs marxistes-léninistes qui font l'éloge de l'arabie et cinq prières par jour quand les saoudiens payent la pige un dollar de plus que damas. aujourd'hui, il y a plus de cent mille cadavres sur la scène de beyrouth qui attendent de savoir quel rôle ils ont joué et pour qui et qui a eu le mot de la fin dans cette pièce absurde. - peut-être garder juste le nom du lieu ? - si vous n'avez rien à faire ce soir allez danser au b52, c'est la boîte la plus branchée de beyrouth, la piste de danse est magique ; dès qu'on y met les pieds, on ne peut plus en sortir, elle est aimantée, on y danse comme des fous jusqu'à l'aube, une fois dessus on chiale pour n'importe quelle musique, du rai, du rostropovitch ou du rap. sous la piste de danse, il y a un charnier palestinien. mais moi ce qui me fait craquer c'est : s'il suffisait qu'on s'aime, s'il suffisait d'aimer j'ai du sang dans mes songes... non, ne partez pas, restez, j'ai une bonne nouvelle à vous annoncer. le restaurant, à la place du théâtre, il s'appellera, je vous le jure, le paris. - maa al salama - au revoir ! au bois il y a un oiseau, son chant vous arrête et vous fait rougir. il y a une horloge qui ne sonne pas. il y a une fondrière avec un nid de bêtes blanches. il y a une cathédrale qui descend et un lac qui monte. il y a une petite voiture abandonnée dans le taillis, ou qui descend le sentier en courant, enrubannée. il y a une troupe de petits comédiens en costumes, aperçus sur la route à travers la lisière du bois. il y a enfin, quand l'on a faim et soif, quelqu'un qui vous chasse. -->> qu'est-ce qu'on peut lire après ça ? peut-être opération phénix... <<-- [home] - [schwartz] - [justine] - [gosseyn] - [mgtrash] - [forum] - [index]

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