tout rimbaud - les illuminations
tout rimbaud - les illuminations
rimbaud,
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les illuminations
les
illuminations ont été publiées pour la première fois en
1886, d'abord en feuilleton dans la revue la vogue, puis en plaquette.
ces premières éditions revêtaient une forme peu satisfaisante
: outre quelques lectures contestables des manuscrits, elles
mêlaient des vers de 1872 aux poèmes en prose composés dans
la période 1873-1875, l'ordre des textes
variait d'une édition à l'autre et, enfin, elles étaient incomplètes (cinq poèmes ne
seront retrouvés qu'en 1895). par la suite, les textes ont été vendus,
dispersés entre différents collectionneurs, et les éditeurs
ultérieurs ont dû tenter de retrouver, photographier, analyser les
manuscrits de manière à
élaborer une méthode d'édition scientifiquement fondée.
chaque
pièce des illuminations nous est aujourd'hui connue par un manuscrit
unique, sauf deux poèmes pour
lesquels le manuscrit s'est perdu : "démocratie" et
"dévotion".
l'analyse graphologique de ces manuscrits
a
permis de les dater avec une quasi certitude de l'année 1874. comme l'écrit steve
murphy : " tous les manuscrits connus du recueil sont
postérieurs à tous les manuscrits que l'on peut dater avec
certitude de 1873" (sm-iv, 589). pour cette raison, les illuminations
doivent être considérées comme la dernière œuvre de
rimbaud. mais ces manuscrits ne sont que des mises au net de
textes rédigés selon toute hypothèse à une date antérieure,
que nous ignorons.
malgré l'absence quasi totale d'information
sur la nature du projet de rimbaud, une tradition éditoriale à
peu près stable s'est progressivement constituée si bien que les dernières
éditions de l'œuvre (pb et lf) présentent les textes dans le
même ordre. c'est cet ordre que nous adoptons dans la liste
ci-contre. en tête, d'"après le déluge" à
"barbare", les poèmes remis par rimbaud à verlaine
en février-mars 1875, à stuttgart, dans l'ordre des 24
feuillets, très probablement numérotés de la main de rimbaud. puis,
les autres poèmes, dans un ordre qui épouse la répartition
des manuscrits entre diverses collections (lf, p.497).
pour ces derniers textes (ceux qui suivent "barbare"
dans la liste ci-contre) steve murphy récuse comme aléatoire l'agencement
traditionnel (sm-iv,
p.620). il trouverait "plus logique" de placer d'abord
les textes publiés dans la revue la vogue, dans l'ordre
de la vogue (soit : "promontoire", "scènes",
"soir historique", "mouvement", "bottom",
"h", "dévotion", "démocratie"), puis
les cinq textes publiés dans l'édition vanier de 1895, dans
l'ordre de cette édition (soit : "fairy", "guerre",
"génie", "jeunesse", "solde"). c'était d'ailleurs l'agencement
proposé
par la première pléiade rimbaud, d'andré rolland de renéville et
jules mouquet. on aurait plus de chance, semble penser murphy, de retrouver
ainsi un ordre ayant quelque
chose à voir avec les intentions de rimbaud.
après
le déluge
enfance
conte
parade
antique
being beauteous
Ô la face cendrée...
vies
départ
royauté
À une raison
matinée d'ivresse
phrases
[feuillet 12]
ouvriers
les
ponts
ville
ornières
villes (ce sont des villes...)
vagabonds
villes (l'acropole officielle...)
veillées
mystique
aube
fleurs
nocturne vulgaire
marine
fête d'hiver
angoisse
métropolitain
barbare
fairy
guerre
solde
jeunesse
promontoire
dévotion
démocratie
scènes
soir historique
bottom
h
mouvement
génie
autographe. bnf
(bibliothèque nationale de france).
poèmes remis à stuttgart.
feuillet 1.
en tête du premier alinéa, le
mot "après"
("aussitôt après ..."), ajouté en surcharge par
rimbaud sur le manuscrit, a été barré au
crayon. probablement par une main étrangère. pb le trouve disgracieux et le supprime, ag et lf le maintiennent.
commentaire
après le déluge
aussitôt après que l'idée du déluge se fut rassise,
un lièvre s'arrêta dans les sainfoins et les clochettes mouvantes et dit
sa prière à l'arc-en-ciel à travers la toile de l'araignée.
oh ! les pierres précieuses qui se cachaient, — les fleurs qui regardaient
déjà.
dans la grande rue sale les étals se dressèrent, et l'on tira les
barques vers la mer étagée là-haut comme sur les gravures.
le sang coula, chez barbe-bleue, — aux abattoirs,
— dans les cirques, où
le sceau de dieu blêmit les fenêtres. le sang et le lait coulèrent.
les castors bâtirent. les "mazagrans" fumèrent dans les
estaminets.
dans la grande maison de vitres encore ruisselante les enfants en deuil
regardèrent les merveilleuses images.
une porte claqua, et sur la place du hameau, l'enfant tourna ses bras,
compris des girouettes et des coqs des clochers de partout, sous l'éclatante
giboulée. madame*** établit un piano dans les alpes. la messe et les
premières communions se célébrèrent aux cent mille autels de la cathédrale.
les caravanes partirent. et le splendide hôtel fut bâti dans le chaos de
glaces et de nuit du pôle.
depuis lors, la lune entendit les chacals piaulant par les déserts de
thym, — et les églogues en sabots grognant dans le verger. puis, dans la
futaie violette, bourgeonnante, eucharis me dit que c'était le printemps.
— sourds, étang,
— Écume, roule sur le pont, et par-dessus les bois ;
—
draps noirs et orgues, — éclairs et tonnerre,
— montez et roulez ; — eaux
et tristesses, montez et relevez les déluges.
car depuis qu'ils se sont dissipés, — oh les pierres précieuses
s'enfouissant, et les fleurs ouvertes ! — c'est un ennui ! et la reine, la
sorcière qui allume sa braise dans le pot de terre, ne voudra jamais nous
raconter ce qu'elle sait, et que nous ignorons.
sommaire
autographe. bnf
(bibliothèque nationale de france).
poèmes remis à stuttgart.
feuillets 2 à 5.
dans "enfance i"
(troisième alinéa), andré guyaux s'est demandé s'il fallait
lire "superbes, noires" ou "superbes
noires" ? le "s" final de "superbes" a en
effet une forme un peu insolite qui peut donner l'impression d'une
virgule. mais le mot est en fin de ligne, coincé contre la
bordure de la page, ce qui peut expliquer la forme inusitée de ce
"s". ni pb, ni lf ne mettent cette virgule.
dans "enfance ii"
(dernier alinéa) rimbaud écrit "faîte" avec un accent
circonflexe. certains se sont demandés s'il était possible que
rimbaud, comme valéry dans le cimetière marin, compare la
surface de la mer à un toit ... de l'intertextualité
rétroactive en critique littéraire ! la plupart des éditeurs
suppriment l'accent.
enfance
i
cette idole, yeux noirs et crin jaune, sans parents ni cour, plus noble
que la fable, mexicaine et flamande ; son domaine, azur et verdure
insolents, court sur des plages nommées, par des vagues sans vaisseaux,
de noms férocement grecs, slaves, celtiques.
À la lisière de la forêt — les fleurs de rêve tintent, éclatent, éclairent, — la fille à lèvre d'orange, les genoux croisés dans le clair déluge
qui sourd des prés, nudité qu'ombrent, traversent et habillent les
arcs-en-ciel, la flore, la mer.
dames qui tournoient sur les terrasses voisines de la mer ; enfantes et géantes,
superbes noires dans la mousse vert-de-gris, bijoux debout sur le sol
gras des bosquets et des jardinets dégelés — jeunes mères et grandes sœurs
aux regards pleins de pèlerinages, sultanes, princesses de démarche
et de costume tyranniques, petites étrangères et personnes doucement
malheureuses.
quel ennui, l'heure du "cher corps" et "cher cœur".
ii
c'est elle, la petite morte, derrière les rosiers. — la jeune maman trépassée
descend le perron. — la calèche du cousin crie sur le sable. — le petit
frère — (il est aux
indes !) là, devant le couchant, sur le pré d'œillets. — les vieux qu'on a enterrés tout droits dans le
rempart aux
giroflées.
l'essaim des feuilles d'or entoure la maison du général. ils sont dans
le midi. — on suit la route rouge pour arriver à l'auberge vide. le château
est à vendre ; les persiennes sont détachées. — le curé aura emporté
la clef de l'église. — autour du parc, les loges des gardes sont inhabitées.
les palissades sont si hautes qu'on ne voit que les cimes bruissantes.
d'ailleurs il n'y a rien à voir là-dedans.
les prés remontent aux hameaux sans coqs, sans enclumes. l'écluse est
levée. Ô les calvaires et les moulins du désert, les îles et les
meules.
des fleurs magiques bourdonnaient. les talus le berçaient. des bêtes
d'une élégance fabuleuse circulaient. les nuées s'amassaient sur la
haute mer faite d'une éternité de chaudes larmes.
iii
au bois il y a un oiseau, son chant vous arrête et vous fait rougir.
il y a une horloge qui ne sonne pas.
il y a une fondrière avec un nid de bêtes blanches.
il y a une cathédrale qui descend et un lac qui monte.
il y a une petite voiture abandonnée dans le taillis, ou qui descend le
sentier en courant, enrubannée.
il y a une troupe de petits comédiens en costumes, aperçus sur la route
à travers la lisière du bois.
il y a enfin, quand l'on a faim et soif, quelqu'un qui vous chasse.
iv
je suis le saint, en prière sur la terrasse, — comme les bêtes
pacifiques paissent jusqu'à la mer de palestine.
je suis le savant au fauteuil sombre. les branches et la pluie se jettent
à la croisée de la bibliothèque.
je suis le piéton de la grand'route par les bois nains ; la rumeur des écluses
couvre mes pas. je vois longtemps la mélancolique lessive d'or du
couchant.
je serais bien l'enfant abandonné sur la jetée partie à la haute mer,
le petit valet, suivant l'allée dont le front touche le ciel.
les sentiers sont âpres. les monticules se couvrent de genêts. l'air est
immobile. que les oiseaux et les sources sont loin ! ce ne peut être que
la fin du monde, en avançant.
v
qu'on me loue enfin ce tombeau, blanchi à la chaux avec les lignes du
ciment en relief — très loin sous terre.
je m'accoude à la table, la lampe éclaire très vivement ces journaux
que je suis idiot de relire, ces livres sans intérêt.
À une distance énorme au-dessus de mon salon souterrain, les maisons
s'implantent, les brumes s'assemblent. la boue est rouge ou noire. ville
monstrueuse, nuit sans fin !
moins haut, sont des égouts. aux côtés, rien que l'épaisseur du globe.
peut-être les gouffres d'azur, des puits de feu. c'est peut-être sur ces
plans que se rencontrent lunes et comètes, mers et fables.
aux heures d'amertume je m'imagine des boules de saphir, de métal. je
suis maître du silence. pourquoi une apparence de soupirail blêmirait-elle
au coin de la voûte ?
sommaire
autographe. bnf
(bibliothèque nationale de france).
poèmes remis à stuttgart.
feuillet 5 (au-dessous de la fin d'"enfance v").
commentaire
conte
un prince était vexé de ne s'être employé jamais qu'à la perfection
des générosités vulgaires. il prévoyait d'étonnantes révolutions
de l'amour, et soupçonnait ses femmes de pouvoir mieux que cette
complaisance agrémentée de ciel et de luxe. il voulait voir la vérité,
l'heure du désir et de la satisfaction essentiels. que ce fût ou non
une aberration de piété, il voulut. il possédait au moins un assez
large pouvoir humain.
toutes les femmes qui l'avaient connu furent assassinées. quel saccage
du jardin de la beauté ! sous le sabre, elles le bénirent. il n'en
commanda point de nouvelles. — les femmes réapparurent.
il tua tous ceux qui le suivaient, après la chasse ou les libations. — tous le suivaient.
il s'amusa à égorger les bêtes de luxe. il fit flamber les palais. il
se ruait sur les gens et les taillait en pièces. — la foule, les toits
d'or, les belles bêtes existaient encore.
peut-on s'extasier dans la destruction, se rajeunir par la
cruauté ! le peuple ne murmura pas. personne n'offrit le concours de
ses vues.
un soir il galopait fièrement. un génie apparut, d'une beauté
ineffable, inavouable même. de sa physionomie et de son maintien
ressortait la promesse d'un amour multiple et complexe ! d'un bonheur
indicible, insupportable même ! le prince et le génie s'anéantirent
probablement dans la santé essentielle. comment n'auraient-ils pas pu
en mourir ? ensemble donc ils moururent.
mais ce prince décéda, dans son palais, à un âge ordinaire. le
prince était le génie. le génie était le prince.
la musique savante manque à notre désir.
sommaire
autographe. bnf
(bibliothèque nationale de france).
poèmes remis à stuttgart.
feuillet 6.
commentaire
parade
des drôles très solides. plusieurs ont exploité vos mondes. sans
besoins, et peu pressés de mettre en oeuvre leurs brillantes facultés
et leur expérience de vos consciences. quels hommes mûrs ! des yeux hébétés à la façon de la nuit d'été, rouges et
noirs, tricolores, d'acier piqué d'étoiles d'or ; des faciès déformés,
plombés, blêmis, incendiés ; des enrouements folâtres ! la démarche
cruelle des oripeaux ! — il y a quelques jeunes, — comment
regarderaient-ils chérubin ? — pourvus de voix effrayantes et
de quelques
ressources dangereuses. on les envoie prendre du dos en ville, affublés
d'un luxe dégoûtant.
Ô le plus violent paradis de la grimace enragée ! pas de comparaison
avec vos fakirs et les autres bouffonneries scéniques. dans des
costumes improvisés avec le goût du mauvais rêve ils jouent des
complaintes, des tragédies de malandrins et de demi-dieux spirituels
comme l'histoire ou les religions ne l'ont jamais été. chinois,
hottentots, bohémiens, niais, hyènes, molochs, vieilles démences, démons
sinistres, ils mêlent les tours populaires, maternels, avec les poses
et les tendresses bestiales. ils interpréteraient des pièces nouvelles
et des chansons "bonnes filles". maîtres jongleurs, ils
transforment le lieu et les personnes, et usent de la comédie magnétique.
les yeux flambent, le sang chante, les os s'élargissent, les larmes et
des filets rouges ruissellent. leur raillerie ou leur terreur dure une
minute, ou des mois entiers.
j'ai seul la clef de cette parade sauvage.
sommaire
autographe. bnf
(bibliothèque nationale de france).
poèmes remis à stuttgart.
feuillet 7.
antique
gracieux fils de pan ! autour de ton front couronné de fleurettes et de
baies tes yeux, des boules précieuses, remuent. tachées de lies
brunes, tes joues se creusent. tes crocs luisent. ta poitrine ressemble
à une cithare, des tintements circulent dans tes bras blonds. ton coeur
bat dans ce ventre où dort le double sexe. promène-toi, la nuit, en
mouvant doucement cette cuisse, cette seconde cuisse et cette jambe de
gauche.
sommaire
autographe. bnf
(bibliothèque nationale de france).
poèmes remis à stuttgart.
feuillet 7 (au-dessous d'"antique").
voir aussi notre note pour
le poème suivant : "Ô la face
cendrée ..."
being beauteous
devant une neige un Être de beauté de haute taille. des sifflements de
mort et des cercles de musique sourde font monter, s'élargir et trembler
comme un spectre ce corps adoré ; des blessures écarlates et noires éclatent
dans les chairs superbes. les couleurs propres de la vie se foncent,
dansent, et se dégagent autour de la vision, sur le chantier. et les
frissons s'élèvent et grondent, et la saveur forcenée de ces effets
se chargeant avec les sifflements mortels et les rauques musiques que le
monde, loin derrière nous, lance sur notre mère de beauté, — elle
recule, elle se dresse. oh ! nos os sont revêtus d'un nouveau corps
amoureux.
sommaire
autographe. bnf
(bibliothèque nationale de france).
poèmes remis à stuttgart.
feuillet 7 (au-dessous de "being beauteous").
on a souvent considéré ce
texte comme le paragraphe final de "being beauteous"
et les trois astérisques comme une séparation entre deux
parties. mais, à la suite d'andré guyaux, les éditeurs récents
considèrent généralement les trois astérisques suivies d'un
point, qui séparent ces lignes des précédentes sur le
feuillet 7 du manuscrit, comme un possible titre d'un texte indépendant.
cela ne remet pas en cause nécessairement l'idée d'une
continuité de sens entre les deux textes.
***.
Ô la face cendrée, l'écusson
de crin, les bras de cristal ! le canon sur lequel je dois m'abattre à
travers la mêlée des arbres et de l'air léger !
sommaire
autographe. bnf
(bibliothèque nationale de france).
poèmes remis à stuttgart.
feuillets 8-9.
"campagne" ou
"compagne" ? dans "vies i", l'édition de 1886
corrigeait "campagne" ("la main de la campagne
sur mon épaule") en "compagne". mais toutes les éditions
récentes maintiennent le "a".
le fac-similé du manuscrit des
deux premières parties de ce texte est consultable sur http://gallica.bnf.fr/anthologie/
notices/00304.htm
vies
i
Ô les énormes avenues du pays saint, les terrasses du temple !
qu'a-t-on fait du brahmane qui m'expliqua les proverbes ? d'alors, de là-bas,
je vois encore même les vieilles ! je me souviens des heures d'argent
et de soleil vers les fleuves, la main de la campagne sur mon épaule,
et de nos caresses debout dans les plaines poivrées. — un envol de
pigeons écarlates tonne autour de ma pensée — exilé ici, j'ai eu une
scène où jouer les chefs-d'oeuvre dramatiques de toutes les littératures.
je vous indiquerais les richesses inouïes. j'observe l'histoire des trésors
que vous trouvâtes. je vois la suite ! ma sagesse est aussi dédaignée
que le chaos. qu'est mon néant, auprès de la stupeur qui vous attend ?
ii
je suis un inventeur bien autrement méritant que tous ceux qui m'ont précédé
; un musicien même, qui ai trouvé quelque chose comme la clef de
l'amour. À présent, gentilhomme d'une campagne aigre au ciel sobre,
j'essaye de m'émouvoir au souvenir de l'enfance mendiante, de
l'apprentissage ou de l'arrivée en sabots, des polémiques, des cinq ou
six veuvages, et quelques noces où ma forte tête m'empêcha de monter
au diapason des camarades. je ne regrette pas ma vieille part de gaîté
divine : l'air sobre de cette aigre campagne alimente fort activement
mon atroce scepticisme. mais comme ce scepticisme ne peut désormais être
mis en oeuvre, et que d'ailleurs je suis dévoué à un trouble nouveau, — j'attends de devenir un très méchant fou.
iii
dans un grenier où je fus enfermé à douze ans j'ai connu le monde,
j'ai illustré la comédie humaine. dans un cellier j'ai appris
l'histoire. À quelque fête de nuit dans une cité du nord, j'ai
rencontré toutes les femmes des anciens peintres. dans un vieux passage
à paris on m'a enseigné les sciences classiques. dans une magnifique
demeure cernée par l'orient entier j'ai accompli mon immense oeuvre et
passé mon illustre retraite. j'ai brassé mon sang. mon devoir m'est
remis. il ne faut même plus songer à cela. je suis réellement
d'outre-tombe, et pas de commissions.
sommaire
autographe. bnf
(bibliothèque nationale de france).
poèmes remis à stuttgart.
feuillet 9 (au-dessous de "vies iii").
À la fin du texte, le signe de ponctuation
étant légèrement incurvé, certains commentateurs se demandent s'il ne
pourrait pas s'agir d'un point d'interrogation.
commentaire
départ
assez vu. la vision s'est rencontrée à tous les airs.
assez eu. rumeurs des villes, le soir, et au soleil, et toujours.
assez connu. les arrêts de la vie. — Ô rumeurs et visions !
départ dans l'affection et le bruit neufs !
sommaire
autographe. bnf
(bibliothèque nationale de france).
poèmes remis à stuttgart.
feuillet 9 (au-dessous de "départ").
royauté
un beau matin, chez un peuple fort doux, un homme et une femme superbes
criaient sur la place publique. "mes amis, je veux qu'elle soit reine !" "je veux être reine !" elle riait et tremblait. il
parlait aux amis de révélation, d'épreuve terminée. ils se pâmaient
l'un contre l'autre.
en effet ils furent rois toute une matinée où les tentures carminées se
relevèrent sur les maisons, et toute l'après-midi, où ils s'avancèrent
du côté des jardins de palmes.
sommaire
autographe. bnf
(bibliothèque nationale de france).
poèmes remis à stuttgart.
feuillet 10.
À une raison
un coup de ton doigt sur le tambour décharge tous les sons et commence
la nouvelle harmonie.
un pas de toi, c'est la levée des nouveaux hommes et leur en-marche.
ta tête se détourne : le nouvel amour !
ta tête se retourne, — le nouvel amour !
"change nos lots, crible les fléaux, à commencer par le
temps", te chantent ces enfants. "Élève n'importe où la
substance de nos fortunes et de nos voeux" on t'en prie.
arrivée de toujours, qui t'en iras partout.
sommaire
autographe. bnf
(bibliothèque nationale de france).
poèmes remis à stuttgart.
feuillets 10-11.
1. le manuscrit présente un
"s" biffé à "digne" (accord avec le
"nous"). toutes les éditions récentes suppriment le
"s", estimant que le singulier est probablement
intentionnel.
matinée d'ivresse
Ô mon bien ! Ô mon beau ! fanfare atroce où je ne trébuche point !
chevalet féerique ! hourra pour l'oeuvre inouïe et pour le corps
merveilleux, pour la première fois ! cela commença sous les rires des
enfants, cela finira pas eux. ce poison va rester dans toutes nos veines
même quand, la fanfare tournant, nous serons rendu à l'ancienne
inharmonie. Ô maintenant, nous si digne1 de ces tortures ! rassemblons fervemment cette promesse surhumaine faite à
notre corps et à notre âme créés : cette promesse, cette
démence ! l'élégance, la science, la violence ! on nous a promis
d'enterrer dans l'ombre l'arbre du bien et du mal, de déporter les honnêtetés
tyranniques, afin que nous amenions notre très pur amour. cela commença
par quelques dégoûts et cela finit, — ne pouvant nous saisir
sur-le-champ de cette éternité, — cela finit par une débandade de
parfums.
rires des enfants, discrétion des esclaves, austérité des vierges,
horreur des figures et des objets d'ici, sacrés soyez-vous par le
souvenir de cette veille. cela commençait par toute la rustrerie, voici
que cela finit par des anges de flamme et de glace.
petite veille d'ivresse, sainte ! quand ce ne serait que pour le masque
dont tu nous as gratifié. nous t'affirmons, méthode ! nous n'oublions
pas que tu as glorifié hier chacun de nos âges. nous avons foi au
poison. nous savons donner notre vie tout entière tous les jours.
voici le temps des assassins.
sommaire
autographe. bnf
(bibliothèque nationale de france).
poèmes remis à stuttgart.
feuillet 11 (au-dessous de la fin de "matinée
d'ivresse").
dans la première édition des illuminations,
le lecteur trouvait sous le titre "phrases" l'ensemble
des feuillets 11 et 12, soit huit fragments. se fondant sur le mode de
séparation des fragments dans les manuscrits (des croix dans le
feuillet 12, des traits
horizontaux dans le feuillet 11) et sur la perception
de cohérences thématiques distinctes, aa (989-990), suivi par
la plupart des éditeurs ultérieurs, a suggéré de séparer ce
feuillet 12 du précédent, au lieu de l'englober sous le titre
commun de "phrases" comme le faisaient les anciennes
éditions. nous suivons cet usage en donnant une sorte de titre
indépendant, entre crochets, aux fragments du feuillet
12. il n'en reste pas moins, fait remarquer steve murphy,
que rimbaud a volontairement regroupé ces deux séries pour
mettre en valeur leurs caractéristiques communes (sm-iv,
605-608).
phrases
quand le monde sera réduit en un seul bois noir pour nos quatre yeux étonnés,
— en une plage pour deux enfants fidèles,
— en une maison musicale pour
notre claire sympathie, — je vous trouverai.
qu'il n'y ait ici-bas qu'un vieillard seul, calme et beau, entouré d'un
"luxe inouï", — et je suis à vos genoux.
que j'aie réalisé tous vos souvenirs, — que je sois celle qui sait
vous garrotter, — je vous étoufferai.
________________
quand nous somme très forts,
— qui
recule ? très gais, qui tombe de ridicule ? quand nous sommes très méchants,
que ferait-on de nous ?
parez-vous, dansez, riez. — je ne pourrai jamais envoyer l'amour par la
fenêtre.
________________
— ma camarade, mendiante, enfant
monstre ! comme ça t'est égal, ces malheureuses et ces manœuvres, et
mes embarras. attache-toi à nous avec ta voix impossible, ta voix !
unique flatteur de ce vil désespoir.
sommaire
autographe. bnf
(bibliothèque nationale de france).
poèmes remis à stuttgart.
feuillet 12.
voir notre notice pour "phrases".
[feuillet
12]
une matinée couverte, en juillet. un
goût de cendres vole dans l'air ; — une odeur de bois suant dans l'âtre,
— les fleurs rouies, — le saccage des promenades,
— la bruine des canaux
par les champs — pourquoi pas déjà les joujoux et l'encens ?
***
j'ai tendu des cordes de clocher à
clocher ; des guirlandes de fenêtre à fenêtre ; des chaînes d'or d'étoile
à étoile, et je danse.
***
le haut étang fume continuellement.
quelle sorcière va se dresser sur le couchant blanc ? quelles violettes
frondaisons vont descendre ?
***
pendant que les fonds publics s'écoulent
en fêtes de fraternité, il sonne une cloche de feu rose dans les
nuages.
***
avivant un agréable goût d'encre de
chine, une poudre noire pleut doucement sur ma veillée. — je baisse les
feux du lustre, je me jette sur le lit, et tourné du côté de l'ombre je vous vois, mes filles ! mes reines !
***
sommaire
autographe. bnf
(bibliothèque nationale de france).
poèmes remis à stuttgart.
feuillet 13.
commentaire
ouvriers
Ô cette chaude matinée de février. le sud inopportun vint relever nos
souvenirs d'indigents absurdes, notre jeune misère.
henrika avait une jupe de coton à carreau blanc et brun, qui a dû être
portée au siècle dernier, un bonnet à rubans, et un foulard de soie.
c'était bien plus triste qu'un deuil. nous faisions un tour dans la
banlieue. le temps était couvert, et ce vent du sud excitait toutes les
vilaines odeurs des jardins ravagés et des prés desséchés.
cela ne devait pas fatiguer ma femme au même point que moi. dans une
flache laissée par l'inondation du mois précédent à un sentier assez
haut elle me fit remarquer de très petits poissons.
la ville, avec sa fumée et ses bruits de métiers, nous suivait très
loin dans les chemins. Ô l'autre monde, l'habitation bénie par le ciel
et les ombrages ! le sud me rappelait les misérables incidents de mon
enfance, mes désespoirs d'été, l'horrible quantité de force et de
science que le sort a toujours éloignée de moi. non ! nous ne
passerons pas l'été dans cet avare pays où nous ne serons jamais que
des orphelins fiancés. je veux que ce bras durci ne traîne plus une chère
image.
sommaire
autographe. bnf
(bibliothèque nationale de france).
poèmes remis à stuttgart.
feuillets 13-14.
les ponts
des ciels gris de cristal. un bizarre dessin de ponts, ceux-ci droits,
ceux-là bombés, d'autres descendant ou obliquant en angles sur les
premiers, et ces figures se renouvelant dans les autres circuits éclairés
du canal, mais tous tellement longs et légers que les rives chargées
de dômes s'abaissent et s'amoindrissent. quelques-uns de ces ponts sont
encore chargés de masures. d'autres soutiennent des mâts, des signaux,
de frêles parapets. des accords mineurs se croisent, et filent, des
cordes montent des berges. on distingue une veste rouge, peut-être
d'autres costumes et des instruments de musique. sont-ce des airs
populaires, des bouts de concerts seigneuriaux, des restants d'hymnes
publics ? l'eau est grise et bleue, large comme un bras de mer. — un
rayon blanc, tombant du haut du ciel, anéantit cette comédie.
sommaire
autographe. bnf
(bibliothèque nationale de france).
poèmes remis à stuttgart.
feuillet 14.
1. orthographe du manuscrit.
plusieurs éditions corrigent.
2.
la conjonction "et" est barrée sur le manuscrit. lf la
supprime. ag et pb la maintiennent, estimant que la conjonction
est barrée au crayon, donc probablement par une
main étrangère.
commentaire
ville
je suis un éphémère et point trop mécontent citoyen d'une métropole
crue moderne parce que tout goût connu a été éludé dans les
ameublements et l'extérieur des maisons aussi bien que dans le plan de la
ville. ici vous ne signaleriez les traces d'aucun monument de
superstition. la morale et la langue sont réduites à leur plus simple
expression, enfin ! ces millions de gens qui n'ont pas besoin de se connaître
amènent si pareillement l'éducation, le métier et la vieillesse, que ce
cours de vie doit être plusieurs fois moins long que ce qu'une
statistique folle trouve pour les peuples du continent. aussi comme, de ma
fenêtre, je vois des spectres nouveaux roulant à travers l'épaisse et
éternelle fumée de charbon, — notre ombre des bois, notre nuit d'été !
— des erinnyes1
nouvelles, devant mon cottage qui est ma patrie et tout mon
coeur puisque tout ici ressemble à ceci, — la mort sans pleurs, notre
active fille et servante, et2 un amour désespéré, et un joli crime
piaulant dans la boue de la rue.
sommaire
autographe. bnf
(bibliothèque nationale de france).
poèmes remis à stuttgart.
feuillet 14 (au-dessous de "ville").
ornières
À droite l'aube d'été éveille les feuilles et les vapeurs et les bruits
de ce coin du parc, et les talus de gauche tiennent dans leur ombre
violette les mille rapides ornières de la route humide. défilé de féeries.
en effet : des chars chargés d'animaux de bois doré, de mâts et de
toiles bariolées, au grand galop de vingt chevaux de cirque tachetés, et
les enfants et les hommes sur leurs bêtes les plus étonnantes ; — vingt
véhicules, bossés, pavoisés et fleuris comme des carrosses anciens ou
de contes, pleins d'enfants attifés pour une pastorale suburbaine. —
même
des cercueils sous leur dais de nuit dressant les panaches d'ébène,
filant au trot des grandes juments bleues et noires.
sommaire
autographe. bnf
(bibliothèque nationale de france).
poèmes remis à stuttgart.
feuillet 15-16.
deux poèmes portent le titre
"villes". pour les différencier certaines éditions
utilisent des chiffres : "villes i" et "villes ii".
or, il existe un débat entre érudits pour savoir lequel de deux
poèmes portant ce titre rimbaud souhaitait placer en premier. en
se fondant sur des traces de chiffres contradictoires lisibles sur
les manuscrits, andré guyaux pense que germain nouveau, qui a
recopié "villes (l'acropole officielle ...)", a
interverti les deux textes. autrement dit, il pense que rimbaud
voulait faire figurer en tête celui des deux "villes"
qui vient en second dans le dossier tel qu'il est numéroté. en
conséquence de quoi les éditeurs, plutôt que d'utiliser des
numéros, préfèrent en général faire suivre le titre de
l'incipit : "villes
(ce sont des villes ...)" ; "villes (l'acropole
officielle...)". ainsi, ils ne prennent pas le risque de
conférer à l'ordre de succession des textes un sens que rimbaud
n'a peut-être pas voulu lui donner et ils évitent de trancher
arbitrairement un débat complexe.
1. le manuscrit ménage un espace
: "plate formes". ag respectait l'espace et normalisait
: "plate[s] formes" (39). pb04 estime qu'il faut
restituer "plateformes" (328).
villes
ce sont des villes ! c'est un peuple pour qui se sont montés ces
alleghanys et ces libans de rêve ! des chalets de cristal et de bois qui
se meuvent sur des rails et des poulies invisibles. les vieux cratères
ceints de colosses et de palmiers de cuivre rugissent mélodieusement dans
les feux. des fêtes amoureuses sonnent sur les canaux pendus derrière
les chalets. la chasse des carillons crie dans les gorges. des
corporations de chanteurs géants accourent dans des vêtements et des
oriflammes éclatants comme la lumière des cimes. sur les plateformes1
au milieu des gouffres les rolands sonnent leur bravoure. sur les
passerelles de l'abîme et les toits des auberges l'ardeur du ciel pavoise
les mâts. l'écroulement des apothéoses rejoint les champs des hauteurs
où les centauresses séraphiques évoluent parmi les avalanches.
au-dessus du niveau des plus hautes crêtes une mer troublée par la
naissance éternelle de vénus, chargée de flottes orphéoniques et de la
rumeur des perles et des conques précieuses, — la mer s'assombrit parfois
avec des éclats mortels. sur les versants des moissons de fleurs grandes
comme nos armes et nos coupes, mugissent. des cortèges de mabs en robes
rousses, opalines, montent des ravines. là-haut, les pieds dans la
cascade et les ronces, les cerfs tettent diane. les bacchantes des
banlieues sanglotent et la lune brûle et hurle. vénus entre dans les
cavernes des forgerons et des ermites. des groupes de beffrois chantent
les idées des peuples. des châteaux bâtis en os sort la musique
inconnue. toutes les légendes évoluent et les élans se ruent dans les
bourgs. le paradis des orages s'effondre. les sauvages dansent sans cesse
la fête de la nuit. et une heure je suis descendu dans le mouvement d'un
boulevard de bagdad où des compagnies ont chanté la joie du travail
nouveau, sous une brise épaisse, circulant sans pouvoir éluder les
fabuleux fantômes des monts où l'on a dû se retrouver.
quels bons bras, quelle belle heure me rendront cette région d'où
viennent mes sommeils et mes moindres mouvements ?
sommaire
autographe. bnf
(bibliothèque nationale de france).
poèmes remis à stuttgart.
feuillet 16 (au-dessous de la fin de "villes" ce
sont des villes ...).
commentaire
vagabonds
pitoyable frère ! que d'atroces veillées je lui dus ! "je ne me
saisissais pas fervemment de cette entreprise. je m'étais joué de son
infirmité. par ma faute nous retournerions en exil, en esclavage."
il me supposait un guignon et une innocence très bizarres, et il
ajoutait des raisons inquiétantes.
je répondais en ricanant à ce satanique docteur, et finissais par
gagner la fenêtre. je créais, par delà la campagne traversée par des
bandes de musique rare, les fantômes du futur luxe nocturne.
après cette distraction vaguement hygiénique, je m'étendais sur une
paillasse. et, presque chaque nuit, aussitôt endormi, le pauvre frère
se levait, la bouche pourrie, les yeux arrachés, — tel qu'il se rêvait
! — et me tirait dans la salle en hurlant son songe de chagrin idiot.
j'avais en effet, en toute sincérité d'esprit, pris l'engagement de le
rendre à son état primitif de fils du soleil, — et nous errions,
nourris du vin des cavernes et du biscuit de la route, moi pressé de
trouver le lieu et la formule.
sommaire
manuscrit de la
main de germain nouveau. bnf
(bibliothèque nationale de france).
poèmes remis à stuttgart.
feuillets 16-17 (au-dessous de "vagabonds").
titre : voir notre notice pour
l'autre poème intitulé "villes" : ce
sont des villes ...
1. andré guyaux a montré que
rimbaud avait d'abord écrit "nababs", puis a
surchargé avec "brahmas" (sans doute pour éviter une
répétition, le mot "nabab" figurant dans la suite du
texte). certaines éditions impriment à tort
"brahmanes".
2. andré guyaux, suivi par de
rares autres éditeurs, croit bon de corriger cette phrase, en
supposant une erreur du copiste (germain nouveau). il propose la
rédaction suivante : "j'ai tremblé à l'aspect de colosses des
gardiens et officiers de constructions". mais ce n'est pas ce qui
est écrit dans le manuscrit, et ce que dit le manuscrit peut se
comprendre.
3. pbo4 estime qu'il faut
conserver cette orthographe étrange du manuscrit, le sens
étant : quelques centaines d'âmes (359). la plupart des autres
éditeurs corrigent : "quelque cent âmes".
villes
l'acropole officielle outre les conceptions de la barbarie moderne les
plus colossales. impossible d'exprimer le jour mat produit par le ciel
immuablement gris, l'éclat impérial des bâtisses, et la neige éternelle
du sol. on a reproduit dans un goût d'énormité singulier toutes les
merveilles classiques de l'architecture. j'assiste à des expositions de
peinture dans des locaux vingt fois plus vastes qu'hampton-court. quelle
peinture ! un nabuchodonosor norwégien a fait construire les escaliers
des ministères ; les subalternes que j'ai pu voir sont déjà plus
fiers que des brahmas1 et j'ai tremblé à l'aspect de colosses des
gardiens et officiers de constructions2. par le groupement des bâtiments
en squares, cours et terrasses fermées, on évince les cochers. les
parcs représentent la nature primitive travaillée par un art superbe.
le haut quartier a des parties inexplicables : un bras de mer, sans
bateaux, roule sa nappe de grésil bleu entre des quais chargés de candélabres
géants. un pont court conduit à une poterne immédiatement sous le dôme
de la sainte-chapelle. ce dôme est une armature d'acier artistique de
quinze mille pieds de diamètre environ.
sur quelques points des passerelles de cuivre, des
plates-formes, des
escaliers qui contournent les halles et les piliers, j'ai cru pouvoir
juger la profondeur de la ville ! c'est le prodige dont je n'ai pu me
rendre compte : quels sont les niveaux des autres quartiers sur ou sous
l'acropole ? pour l'étranger de notre temps la reconnaissance est
impossible. le quartier commerçant est un circus d'un seul style, avec
galeries à arcades. on ne voit pas de boutiques. mais la neige de la
chaussée est écrasée ; quelques nababs aussi rares que les promeneurs
d'un matin de dimanche à londres, se dirigent vers une diligence de
diamants. quelques divans de velours rouge : on sert des boissons
polaires dont le prix varie de huit cents à huit mille roupies. a l'idée
de chercher des théâtres sur ce circus, je me réponds que les
boutiques doivent contenir des drames assez sombres. je pense qu'il y a
une police, mais la loi doit être tellement étrange, que je renonce à
me faire une idée des aventuriers d'ici.
le faubourg aussi élégant qu'une belle rue de paris est favorisé d'un
air de lumière. l'élément démocratique compte quelques cents3 âmes. là
encore les maisons ne se suivent pas ; le faubourg se perd bizarrement
dans la campagne, le "comté" qui remplit l'occident éternel
des forêts et des plantations prodigieuses où les gentilshommes
sauvages chassent leurs chroniques sous la lumière qu'on a créée.
sommaire
autographe. bnf
(bibliothèque nationale de france).
poèmes remis à stuttgart.
feuillets 18-19.
veillées
i
c'est le repos éclairé, ni fièvre ni langueur, sur le lit ou sur le
pré.
c'est l'ami ni ardent ni faible. l'ami.
c'est l'aimée ni tourmentante ni tourmentée. l'aimée.
l'air et le monde point cherchés. la vie.
—
etait-ce donc ceci ?
— et le rêve fraîchit.
ii
l'éclairage revient à l'arbre de bâtisse. des deux extrémités de la
salle, décors quelconques, des élévations harmoniques se joignent. la
muraille en face du veilleur est une succession psychologique de coupes
de frises, de bandes atmosphériques et d'accidences géologiques. — rêve
intense et rapide de groupes sentimentaux avec des êtres de tous les
caractères parmi toutes les apparences.
iii
les lampes et les tapis de la veillée font le bruit des vagues, la
nuit, le long de la coque et autour du steerage.
la mer de la veillée, telle que les seins d'amélie.
les tapisseries, jusqu'à mi-hauteur, des taillis de dentelle, teinte d'émeraude,
où se jettent les tourterelles de la veillée......................................................................................................................
la plaque du foyer noir, de réels soleils des grèves : ah ! puits des
magies ; seule vue d'aurore, cette fois.
sommaire
autographe. bnf
(bibliothèque nationale de france).
poèmes remis à stuttgart.
feuillet 19 (au-dessous de "veillées iii").
mystique
sur la pente du talus les anges tournent leurs robes de laine dans les
herbages d'acier et d'émeraude.
des prés de flammes bondissent jusqu'au sommet du mamelon.
À gauche le
terreau de l'arête est piétiné par tous les homicides et toutes les
batailles, et tous les bruits désastreux filent leur courbe. derrière
l'arête de droite la ligne des orients, des progrès.
et tandis que la bande en haut du tableau est formée de la rumeur
tournante et bondissante des conques des mers et des nuits humaines,
la douceur fleurie des étoiles et du ciel et du reste descend en face
du talus comme un panier, contre notre face, et fait l'abîme fleurant
et bleu là-dessous.
sommaire
autographe. bnf
(bibliothèque nationale de france).
poèmes remis à stuttgart.
feuillet 19 (au-dessous de "mystique").
commentaire
aube
j'ai embrassé l'aube d'été.
rien ne bougeait encore au front des palais. l'eau était morte. les
camps d'ombres ne quittaient pas la route du bois. j'ai marché, réveillant
les haleines vives et tièdes, et les pierreries regardèrent, et les
ailes se levèrent sans bruit.
la première entreprise fut, dans le sentier déjà empli de frais et blêmes
éclats, une fleur qui me dit son nom.
je ris au wasserfall blond qui s'échevela à travers les sapins : à la
cime argentée je reconnus la déesse.
alors je levai un à un les voiles. dans l'allée, en agitant les bras.
par la plaine, où je l'ai dénoncée au coq. À la grand'ville elle
fuyait parmi les clochers et les dômes, et courant comme un mendiant
sur les quais de marbre, je la chassais.
en haut de la route, près d'un bois de lauriers, je l'ai entourée avec
ses voiles amassés, et j'ai senti un peu son immense corps. l'aube et
l'enfant tombèrent au bas du bois.
au réveil il était midi.
sommaire
autographe. bnf
(bibliothèque nationale de france).
poèmes remis à stuttgart.
feuillet 20.
le fac-similé du manuscrit de
ce texte est consultable sur http://gallica.bnf.fr/anthologie/
notices/00304.htm
fleurs
d'un gradin d'or, — parmi les cordons de soie, les gazes grises, les
velours verts et les disques de cristal qui noircissent comme du bronze
au soleil, — je vois la digitale s'ouvrir sur un tapis de filigranes
d'argent, d'yeux et de chevelures.
des pièces d'or jaune semées sur l'agate, des piliers d'acajou
supportant un dôme d'émeraudes, des bouquets de satin blanc et de
fines verges de rubis entourent la rose d'eau.
tels qu'un dieu aux énormes yeux bleus et aux formes de neige, la mer
et le ciel attirent aux terrasses de marbre la foule des jeunes et
fortes roses.
sommaire
autographe. bnf
(bibliothèque nationale de france). poèmes remis à stuttgart.
feuillet 21.
le
découpage de ce texte en cinq alinéas, tel qu'il est proposé
par la plupart des éditions, est contestable. seuls
les deux derniers tirets ont été placés en retrait dans le manuscrit
(cf. pb04, 430). or rimbaud marque très nettement, en général,
les retraits par rapport à la marge en début d'alinéa. on
peut donc légitimement penser que la présence de plusieurs des
tirets du texte contre la marge est aléatoire. c'est dans ce
sens qu'a arbitré ah (104).
nous maintenons malgré tout la
présentation traditionnelle du texte, pour deux raisons :
- elle nous paraît cohérente avec le
sens (notamment, le retrait nous paraît logique au 2e
alinéa, devant "—
ici, ...").
- sur le manuscrit, on peut remarquer
que l'écriture ne va jusqu'au bout de la ligne ni après
"gravier.", ni après "armées,". ce qui
semble indiquer, malgré l'absence de retrait, une intention
d'aller à la ligne.
1. ag (59) écrit :
"disperse : le centre du mot, de la seconde à la sixième
lettre, surcharge un mot de quatre à six lettres (lève ?
chasse ?)". lf donne "disperse" (174). pb04 opte pour "chasse" à la place de
"disperse" (429).
commentaire
nocturne vulgaire
un souffle ouvre des brèches opéradiques dans les cloisons,
— brouille
le pivotement des toits rongés, — disperse1 les limites des foyers,
— éclipse
les croisées. — le long de la vigne, m'étant appuyé du pied à une
gargouille, — je suis descendu dans ce carrosse dont l'époque est assez
indiquée par les glaces convexes, les panneaux bombés et les sophas
contournés — corbillard de mon sommeil, isolé, maison de berger de ma
niaiserie, le véhicule vire sur le gazon de la grande route effacée ;
et dans un défaut en haut de la glace de droite tournoient les blêmes
figures lunaires, feuilles, seins ; — un vert et un bleu très foncés
envahissent l'image. dételage aux environs d'une tache de gravier.
—
ici, va-t-on siffler pour l'orage, et les sodomes, — et les
solymes, —
et les bêtes féroces et les armées,
— (postillon et bêtes de songe
reprendront-ils sous les plus suffocantes futaies, pour m'enfoncer
jusqu'aux yeux dans la source de soie).
— et nous envoyer, fouettés à travers les eaux clapotantes et les
boissons répandues, rouler sur l'aboi des dogues...
— un souffle disperse les limites du foyer.
sommaire
autographe. bnf
(bibliothèque nationale de france).
poèmes remis à stuttgart.
feuillet 22.
le feuillet 22 occupe le verso du feuillet 21.
la plupart des éditeurs
impriment le dernier "vers" sur une seule ligne (le manuscrit le coupe en deux par manque de
place ; mais la minuscule à tourbillons indique clairement qu'il
n'y a pas de vers 11). andré
guyaux est partisan de respecter le manuscrit (cf. sb).
le manuscrit montre de légers
retraits, inégalement marqués, aux vers 1, 3, 5. steve
murphy regrette que les éditeurs ne respectent pas ces retraits (sm-iv, p.77-79).
marine
les chars d'argent et de cuivre —
les proues d'acier et d'argent —
battent l'écume, —
soulèvent les souches des ronces —
les courants de la lande,
et les ornières immenses du reflux,
filent circulairement vers l'est,
vers les piliers de la forêt, —
vers les fûts de la jetée,
dont l'angle est heurté par des
tourbillons de lumière.
sommaire
autographe. bnf
(bibliothèque nationale de france).
poèmes remis à stuttgart.
feuillet 22 ("au-dessous de marine").
le feuillet 22 occupe le verso du feuillet 21.
fête d'hiver
la cascade sonne derrière les huttes d'opéra-comique. des girandoles
prolongent, dans les vergers et les allées voisins du méandre, — les
verts et les rouges du couchant. nymphes d'horace coiffées au premier
empire, — rondes sibériennes, chinoises de boucher.
sommaire
autographe. bnf
(bibliothèque nationale de france).
poèmes remis à stuttgart.
feuillet 23.
commentaire
angoisse
se peut-il qu'elle me fasse pardonner les ambitions continuellement écrasées,
— qu'une fin aisée répare les âges d'indigence,
— qu'un jour de succès
nous endorme sur la honte de notre inhabileté fatale.
( Ô palmes ! diamant ! — amour, force !
— plus haut que toutes joies et
gloires ! — de toutes façons, partout,
— démon, dieu, — jeunesse de
cet être-ci ; moi ! )
que des accidents de féerie scientifique et des mouvements de fraternité
sociale soient chéris comme restitution progressive de la franchise
première ?...
mais la vampire qui nous rend gentils commande que nous nous amusions
avec ce qu'elle nous laisse, ou qu'autrement nous soyons plus drôles.
rouler aux blessures, par l'air lassant et la mer ; aux supplices, par
le silence des eaux et de l'air meurtriers ; aux tortures qui rient,
dans leur silence atrocement houleux.
sommaire
manuscrit de la
main de germain nouveau. bnf
(bibliothèque nationale de france).
poèmes remis à stuttgart.
feuillets 23-24 (au-dessous d'"angoisse").
certains éditeurs corrigent "plans" par plants (§3),
arguant que le mot "plans" surcharge un mot
difficile à lire qui pourrait être le mot "champs".
dans le doute, les éditeurs les plus récents optent pour le
respect scrupuleux du manuscrit.
certains éditeurs corrigent "longueur" par langueur (§4). les
éditeurs les plus récents préfèrent respecter le
manuscrit.
commentaire
métropolitain
du détroit d'indigo aux mers d'ossian, sur le sable rose et orange qu'a
lavé le ciel vineux viennent de monter et de se croiser des boulevards
de cristal habités incontinent par de jeunes familles pauvres qui
s'alimentent chez les fruitiers. rien de riche. — la ville !
du désert de bitume fuient droit en déroute avec les nappes de brumes
échelonnées en bandes affreuses au ciel qui se recourbe, se recule et
descend, formé de la plus sinistre fumée noire que puisse faire l'océan
en deuil, les casques, les roues, les barques, les croupes. — la
bataille !
lève la tête : ce pont de bois, arqué ; les derniers potagers de
samarie ; ces masques enluminés sous la lanterne fouettée par la nuit
froide ; l'ondine niaise à la robe bruyante, au bas de la rivière :
les crânes lumineux dans les plans de pois — et les autres
fantasmagories — la campagne.
des routes bordées de grilles et de murs, contenant à peine leurs
bosquets, et les atroces fleurs qu'on appellerait cœurs et sœurs,
damas damnant de longueur, — possessions de féeriques aristocraties
ultra-rhénanes, japonaises, guaranies, propres encore à recevoir la
musique des anciens — et il y a des auberges qui pour toujours n'ouvrent
déjà plus — il y a des princesses, et si tu n'es pas trop accablé, l'étude
des astres — le ciel.
le matin où avec elle, vous vous débattîtes parmi les éclats de
neige, les lèvres vertes, les glaces, les drapeaux noirs et les rayons
bleus, et les parfums pourpres du soleil des pôles, — ta force.
sommaire
autographe. bnf
(bibliothèque nationale de france).
poèmes remis à stuttgart.
feuillet 24 (au-dessous de la fin de
"métropolitain").
commentaire
barbare
bien après les jours et les saisons, et les êtres et les pays,
le pavillon en viande saignante sur la soie des mers et des fleurs
arctiques ; (elles n'existent pas.)
remis des vieilles fanfares d'héroïsme — qui nous attaquent encore le
cœur et la tête — loin des anciens assassins
—
oh ! le pavillon en viande saignante sur la soie des mers et des fleurs
arctiques ; (elles n'existent pas)
douceurs !
les brasiers pleuvant aux rafales de givre, — douceurs !
— les feux à
la pluie du vent de diamants jetée par le cœur terrestre éternellement
carbonisé pour nous. —
Ô monde ! —
(loin des vieilles retraites et des vieilles flammes, qu'on entend,
qu'on sent,)
les brasiers et les écumes. la musique, virement des gouffres et choc
des glaçons aux astres.
Ô douceurs, ô monde, ô musique ! et là, les formes, les sueurs, les
chevelures et les yeux, flottant. et les larmes blanches, bouillantes, —
ô douceurs ! — et la voix féminine arrivée au fond des volcans et des
grottes arctiques.
le pavillon...
sommaire
autographe. bnf
(bibliothèque nationale de france).
appartient au groupe de cinq
poèmes retrouvés en 1895 et reliés à part des précédents.
1. surcharge peu lisible.
cj2000, suivi par pb04, opte pour du cri. pb et lf
donnent des cris.
fairy
pour hélène se conjurèrent les sèves ornamentales dans les ombres
vierges et les clartés impassibles dans le silence astral. l'ardeur de
l'été fut confiée à des oiseaux muets et l'indolence requise à une
barque de deuils sans prix par des anses d'amours morts et de parfums
affaissés.
— après le moment de l'air des bûcheronnes à la rumeur du torrent
sous la ruine des bois, de la sonnerie des bestiaux à l'écho des vals,
et des cris1 des steppes. —
pour l'enfance d'hélène frissonnèrent les fourrures et les ombres
—
et le sein des pauvres, et les légendes du ciel.
et ses yeux et sa danse supérieurs encore aux éclats précieux, aux
influences froides, au plaisir du décor et de l'heure uniques.
sommaire
autographe. bnf
(bibliothèque nationale de france).
appartient au groupe de cinq
poèmes retrouvés en 1895 et reliés à part des précédents.
guerre
enfant, certains ciels ont affiné mon optique : tous les caractères
nuancèrent ma physionomie. les phénomènes s'émurent. —
À présent,
l'inflexion éternelle des moments et l'infini des mathématiques me
chassent par ce monde où je subis tous les succès civils, respecté de
l'enfance étrange et des affections énormes. — je songe à une guerre
de droit ou de force, de logique bien imprévue.
c'est aussi simple qu'une phrase musicale.
sommaire
autographe. bnf
(bibliothèque nationale de france).
appartient au groupe de cinq
poèmes retrouvés en 1895 et reliés à part des précédents.
solde
À vendre ce que les juifs n'ont pas vendu, ce que noblesse ni crime
n'ont goûté, ce qu'ignorent l'amour maudit et la probité infernale
des masses ; ce que le temps ni la science n'ont pas à reconnaître ;
les voix reconstituées ; l'éveil fraternel de toutes les énergies
chorales et orchestrales et leurs applications instantanées ;
l'occasion, unique, de dégager nos sens !
À vendre les corps sans prix, hors de toute race, de tout monde, de tout
sexe, de toute descendance ! les richesses jaillissant à chaque démarche
! solde de diamants sans contrôle !
À vendre l'anarchie pour les masses ; la satisfaction irrépressible
pour les amateurs supérieurs ; la mort atroce pour les fidèles et les
amants !
À vendre les habitations et les migrations, sports, féeries et comforts
parfaits, et le bruit, le mouvement et l'avenir qu'ils font !
À vendre les applications de calcul et les sauts d'harmonie inouïs. les
trouvailles et les termes non soupçonnés, possession immédiate,
Élan insensé et infini aux splendeurs invisibles, aux délices
insensibles, — et ses secrets affolants pour chaque vice
— et sa gaîté
effrayante pour la foule —
À vendre les corps, les voix, l'immense opulence inquestionable, ce
qu'on ne vendra jamais. les vendeurs ne sont pas à bout de solde ! les
voyageurs n'ont pas à rendre leur commission de si tôt !
sommaire
le manuscrit autographe
de
"jeunesse i" est à la bnf (bibliothèque nationale de
france). il appartient au groupe de cinq poèmes retrouvés en 1895
et reliés à part des autres manuscrits de la bnf. les trois autres sections se trouvent à la fondation
martin bodmer, cologny (genève).
note concernant
"jeunesse ii, sonnet"
nous optons
ci-contre pour une mise en page "diplomatique", c'est
à dire que nous allons à la ligne au même endroit que le
manuscrit.
sur le manuscrit,
le texte de "sonnet" emplit de gauche à droite tout
l'espace disponible du feuillet, exactement comme les autres
sections de "jeunesse", sans effet de centrage et sans
qu'on observe l'indentation irrégulière de la marge de droite
propre aux textes versifiés.
[ pour des raisons techniques, nous ne pouvons pas
obtenir le même alignement à droite dans notre texte
dactylographié. afin de limiter au maximum les effets
déformants de la dactylographie, nous matérialisons la bordure
des feuillets par un cadre. ]
le titre "sonnet"
("jeunesse ii") est donc énigmatique. rimbaud a-t-il eu
l'intention d'écrire une parodie de sonnet (sb 525 n. 8) ou
s'est-il avisé après coup que sa prose remplissait exactement
quatorze lignes, ainsi que l'a supposé pierre guyaux ? les éditeurs, en tous cas, s'estiment
généralement tenus de respecter la mise en page du manuscrit
sur quatorze lignes (à l'exception notable de pb04). steve
murphy (stratégies de rimbaud, champion, 2004,
p.463-500) estime que cette prose de rimbaud dialogue avec
un poème antérieur de verlaine, qui est un sonnet, et que le
titre traduit essentiellement une volonté parodique. il s'agit
d'"invocation" ("chair ! ô seul fruit mordu
des vergers d'ici-bas [...]"), poème envoyé par verlaine
à lepelletier le 16 mai 1873 et repris en 1884 sous le titre
"luxures" dans jadis et naguère.
1. "forcées" ou
"forcies" ? pour pb04, "forcies" est certain
(580). sm-iv tient pour "forcées" (633-634).
2. signe + ou tiret barré ? on lit un signe "plus"
qui peut aussi être un trait barré.
3. la virgule se confond avec le "s" d'
"univers" sur le manuscrit : guyaux estime qu'il y a
une virgule, murphy pense qu'il y a là simplement un
"s" de forme exubérante (sm-iv,633).
jeunesse
i
dimanche
les calculs de côté, l'inévitable descente du ciel et la visite des
souvenirs et la séance des rythmes occupent la demeure, la tête et le
monde de l'esprit.
— un cheval détale sur le turf suburbain, et le long des cultures et
des boisements, percé par la peste carbonique. une misérable femme de
drame, quelque part dans le monde, soupire après des abandons
improbables. les desperadoes languissent après l'orage, l'ivresse et
les blessures. de petits enfants étouffent des malédictions le long
des rivières. —
reprenons l'étude au bruit de l'œuvre dévorante qui se rassemble et
remonte dans les masses.
ii
sonnet
homme de constitution ordinaire, la chair
n'était-elle pas un fruit pendu dans le verger ; — ô
journées enfantes ! — le corps un trésor à prodiguer ;
— ô
aimer, le péril ou la force de psyché ? la terre
avait des versants fertiles en princes et en artistes
et la descendance et la race vous poussaient aux
crimes et aux deuils : le monde votre fortune et votre
péril. mais à présent, ce labeur comblé, — toi, tes calculs,
— toi, tes impatiences
— ne sont plus que votre danse et
votre voix, non fixées et point forcées1, quoique d'un double
événement d'invention et de succès +2 une raison,
— en l'humanité fraternelle et discrète par l'univers,3
sans images ; — la force et le droit réfléchissent la
danse et la voix à présent seulement appréciées.
iii
vingt ans
les voix instructives exilées... l'ingénuité physique amèrement
rassise... — adagio — ah! l'égoïsme infini de l'adolescence,
l'optimisme studieux : que le monde était plein de fleurs cet
été ! les airs et les formes mourant... — un
chœur, pour calmer
l'impuissance et l'absence ! un chœur de verres, de mélodies
nocturnes... en effet les nerfs vont vite chasser.
iv
tu es encore à la tentation d'antoine. l'ébat du zèle écourté, les
tics d'orgueil puéril, l'affaissement et l'effroi.
mais tu te mettras à ce travail : toutes les possibilités harmoniques
et architecturales s'émouvront autour de ton siège. des êtres
parfaits, imprévus, s'offriront à tes expériences. dans tes environs
affluera rêveusement la curiosité d'anciennes foules et de luxes
oisifs. ta mémoire et tes sens ne seront que la nourriture de ton
impulsion créatrice. quant au monde, quand tu sortiras, que sera-t-il
devenu ? en tout cas, rien des apparences actuelles.
sommaire
autographe.
musée-bibliothèque arthur rimbaud à charleville-mézières.
1. j-l steinmetz décèle sur le
manuscrit un "s" final à "arbres du japon",
contrairement à ce qu'on lit habituellement (cf. lf 517).
2. tous les éditeurs achèvent
le poème sur ce mot composé. mais il n'est pas certain que le
signe figurant sur le manuscrit entre "palais" et
"promontoire" soit un tiret. matériellement, c'est
plutôt un point. le dernier mot ne serait dans ce cas qu'une
mention du titre.
promontoire
l'aube d'or et la soirée frissonnante trouvent notre brick en large en
face de cette villa et de ses dépendances, qui forment un promontoire
aussi étendu que l'Épire et le péloponnèse, ou que la grande île du
japon, ou que l'arabie ! des fanums qu'éclaire la rentrée des théories,
d'immenses vues de la défense des côtes modernes ; des dunes illustrées
de chaudes fleurs et de bacchanales ; de grands canaux de carthage et des
embankments d'une venise louche ; de molles éruptions d'etnas et des
crevasses de fleurs et d'eaux des glaciers ; des lavoirs entourés de
peupliers d'allemagne ; des talus de parcs singuliers pendant des têtes
d'arbres1 du japon ; les façades circulaires des "royal" ou des
"grand" de scarbro ou de brooklyn ; et leurs railways flanquent,
creusent, surplombent les dispositions de cet hôtel, choisies dans
l'histoire des plus élégantes et des plus colossales constructions de
l'italie, de l'amérique et de l'asie, dont les fenêtres et les terrasses
à présent pleines d'éclairages, de boissons et de brises riches, sont
ouvertes à l'esprit des voyageurs et des nobles — qui permettent, aux
heures du jour, à toutes les tarentelles des côtes, — et même aux
ritournelles des vallées illustres de l'art, de décorer merveilleusement
les façades du palais-promontoire2.
sommaire
pas de manuscrit
connu. texte publié par la vogue en 1886.
dévotion
À ma sœur louise vanaen de voringhem : — sa cornette bleue tournée à
la mer du nord. — pour les naufragés.
À ma sœur léonie aubois d'ashby. baou. — l'herbe d'été bourdonnante
et puante. — pour la fièvre des mères et des enfants.
À lulu, — démon
— qui a conservé un goût pour les oratoires du temps
des amies et de son éducation incomplète. pour les hommes ! À
madame***.
À l'adolescent que je fus. À ce saint vieillard, ermitage ou mission.
À l'esprit des pauvres. et à un très haut clergé.
aussi bien à tout culte en telle place de culte mémoriale et parmi
tels événements qu'il faille se rendre, suivant les aspirations du
moment ou bien notre propre vice sérieux.
ce soir à circeto des hautes glaces, grasse comme le poisson, et
enluminée comme les dix mois de la nuit rouge, —
(son cœur ambre et spunk), —
pour ma seule prière muette comme ces régions de nuit et précédant
des bravoures plus violentes que ce chaos polaire.
À tout prix et avec tous les airs, même dans les voyages métaphysiques.
— mais plus alors.
sommaire
pas de manuscrit
connu. texte publié par la vogue en 1886.
commentaire
démocratie
"le drapeau va au paysage immonde, et notre patois étouffe le
tambour.
"aux centres nous alimenterons la plus cynique prostitution. nous
massacrerons les révoltes logiques.
"aux pays poivrés et détrempés ! —
au service des plus
monstrueuses exploitations industrielles ou militaires.
"au revoir ici, n'importe où. conscrits du bon vouloir, nous
aurons la philosophie féroce ; ignorants pour la science, roués pour
le confort ; la crevaison pour le monde qui va. c'est la vraie marche.
en avant, route !"
sommaire
autographe de la
collection pierre berès.
ce manuscrit a
changé de mains lors de la vente berès du 20.06.06. le
fac-similé est consultable en format pdf sur : http://www.bibliorare.com/cat-vent_
beres20-6-06-2-8.pdf
scènes
l'ancienne comédie poursuit ses accords et divise ses idylles :
des boulevards de tréteaux.
un long pier en bois d'un bout à l'autre d'un champ rocailleux où la
foule barbare évolue sous les arbres dépouillés.
dans des corridors de gaze noire suivant le pas des promeneurs aux
lanternes et aux feuilles.
des oiseaux de mystères s'abattent sur un ponton de maçonnerie mû par
l'archipel couvert des embarcations des spectateurs.
des scènes lyriques accompagnées de flûte et de tambour s'inclinent dans
des réduits ménagés sous les plafonds, autour des salons de clubs
modernes ou des salles de l'orient ancien.
la féerie manœuvre au sommet d'un amphithéâtre couronné par les
taillis, — ou s'agite et module pour les béotiens, dans l'ombre des
futaies mouvantes sur l'arête des cultures.
l'opéra-comique se divise sur une scène à l'arête d'intersection de
dix cloisons dressées de la galerie aux feux.
sommaire
autographe de la
collection pierre berès.
1. ag "corrigeait"
"goutte" par "goûte". pb réfute cette
solution (pb-o4, 663).
2. ph, aa et ag lisaient
"fauteuils de rois", mais pb 04 (662) et lf (576)
considèrent comme plus fondée, d'après le manuscrit, la lecture
"fauteuils de rocs".
3. s'opposant à toutes les
autres éditions, pb 04 (662) reprend "à cette"
devant "brume" (comme il est "clairement lisible
sur le manuscrit").
commentaire
soir historique
en quelque soir, par exemple, que se trouve le touriste naïf, retiré
de nos horreurs économiques, la main d'un maître anime le clavecin des
prés ; on joue aux cartes au fond de l'étang, miroir évocateur des
reines et des mignonnes, on a les saintes, les voiles, et les fils
d'harmonie, et les chromatismes légendaires, sur le couchant.
il frissonne au passage des chasses et des hordes. la comédie
goutte1
sur les tréteaux de gazon. et l'embarras des pauvres et des faibles sur
ces plans stupides !
À sa vision esclave, — l'allemagne s'échafaude vers des lunes ; les déserts
tartares s'éclairent — les révoltes anciennes grouillent dans le
centre du céleste empire, par les escaliers et les fauteuils de rocs2
—
un petit monde blême et plat, afrique et occidents, va s'édifier. puis
un ballet de mers et de nuits connues, une chimie sans valeur, et des mélodies
impossibles.
la même magie bourgeoise à tous les points où la malle nous déposera
! le plus élémentaire physicien sent qu'il n'est plus possible de se
soumettre à cette atmosphère personnelle, brume3 de remords physiques,
dont la constatation est déjà une affliction.
non ! — le moment de l'étuve, des mers enlevées, des embrasements
souterrains, de la planète emportée, et des exterminations conséquentes,
certitudes si peu malignement indiquées dans la bible et par les nornes
et qu'il sera donné à l'être sérieux de surveiller. — cependant ce
ne sera point un effet de légende !
sommaire
autographe de la
collection pierre berès.
bottom et h figurent l'un sous
l'autre, sur le même feuillet.
le titre : "bottom"
figure en surcharge au dessus d'un titre précédent qui a été
barré : "métamorphoses".
la plupart des éditeurs (aa,
sm iv, pb 04, lf) optent pour trois alinéas au lieu des quatre
figurant chez ag.
bottom
la réalité étant trop épineuse pour mon grand caractère,
— je me
trouvai néanmoins chez ma dame, en gros oiseau gris bleu s'essorant
vers les moulures du plafond et traînant l'aile dans les ombres de la
soirée.
je fus, au pied du baldaquin supportant ses bijoux adorés et ses
chefs-d'œuvre physiques, un gros ours aux gencives violettes et au poil
chenu de chagrin, les yeux aux cristaux et aux argents des consoles.
tout se fait ombre et aquarium ardent.
au matin, — aube de juin batailleuse,
— je courus aux champs, âne,
claironnant et brandissant mon grief, jusqu'à ce que les sabines de la
banlieue vinrent se jeter à mon poitrail.
sommaire
autographe de la
collection pierre berès.
bottom et h figurent l'un sous
l'autre, sur le même feuillet.
h
toutes les monstruosités violent les gestes atroces d'hortense. sa
solitude est la mécanique érotique, sa lassitude, la dynamique
amoureuse. sous la surveillance d'une enfance elle a été, à des époques
nombreuses, l'ardente hygiène des races. sa porte est ouverte à la misère.
là, la moralité des êtres actuels se décorpore en sa passion ou en
son action. — Ô terrible frisson des amours novices, sur le sol sanglant
et par l'hydrogène clarteux ! trouvez hortense.
sommaire
autographe de la
collection pierre berès.
rimbaud dispose son texte sur
le manuscrit à la manière d'un poème versifié. lorsqu'il lui
manque de la place en fin de vers, il ne revient pas à la marge,
comme il le fait dans ses poèmes en prose : il ménage un
rajout en fin de ligne, légèrement au dessus du texte. cet
artifice est utilisé à deux reprises : vers 17 (pour "les bijoux —")
et vers 19 (pour "motrice").
commentaire
mouvement
le mouvement de lacet sur la berge des chutes du fleuve,
le gouffre à l'étambot,
la célérité de la rampe,
l'énorme passade du courant
mènent par les lumières inouïes
et la nouveauté chimique
les voyageurs entourés des trombes du val
et du strom.
ce sont les conquérants du monde
cherchant la fortune chimique personnelle ;
le sport et le comfort voyagent avec eux ;
ils emmènent l'éducation
des races, des classes et des bêtes, sur ce vaisseau.
repos et vertige
À la lumière diluvienne,
aux terribles soirs d'étude.
car de la causerie parmi les appareils, — le
sang, les fleurs, le feu,
les bijoux —
des comptes agités à ce bord fuyard,
— on voit, roulant comme une digue au-delà de la route hydraulique
motrice,
monstrueux, s'éclairant sans fin, — leur stock d'études ;
—
eux chassés dans l'extase harmonique,
et l'héroïsme de la découverte.
aux accidents atmosphériques les plus surprenants
un couple de jeunesse s'isole sur l'arche,
— est-ce ancienne sauvagerie qu'on pardonne ?
—
et chante et se poste.
sommaire
autographe de la
collection pierre berès.
appartient au groupe de cinq
poèmes retrouvés en 1895.
pb 04 note (720) : "la
consultation du fac-similé oblige à d'importantes
modifications concernant la ponctuation (usages fréquents du
tiret jusque dans la série finale de substantifs [...]".
nous suivons sa ponctuation.
sm (sm-iv, 631-632) remarque
qu'"'il n'existe aucune raison particulière de placer ce
texte en fin de recueil". en effet, la seule indication
chiffrée apparaissant sur le manuscrit est "iii" en
chiffres romains, qui correspond à la place occupée par le
texte lors de sa première édition, entre "guerre" et
"jeunesse".
le manuscrit de
ce texte a changé de mains lors de la vente berès du 26/06/06.
on peut consulter le fac-similé sur le catalogue de la vente : http://www.bibliorare.com/
cat-vent_beres20-6-06-7.pdf
génie
il est l'affection et le présent puisqu'il a fait la maison ouverte à
l'hiver écumeux et à la rumeur de l'été —
lui qui a purifié les
boissons et les aliments, — lui qui est le charme des lieux fuyants et le
délice surhumain des stations. —
il est l'affection et l'avenir, la force
et l'amour que nous, debout dans les rages et les ennuis, nous voyons
passer dans le ciel de tempête et les drapeaux d'extase.
il est l'amour, mesure parfaite et réinventée, raison merveilleuses et
imprévue, et l'éternité : machine aimée des qualités fatales. nous
avons tous eu l'épouvante de sa concession et de la nôtre : ô
jouissance de notre santé, élan de nos facultés, affection égoïste
et passion pour lui, — lui qui nous aime pour sa vie infinie...
et nous nous le rappelons et il voyage... et si l'adoration s'en va,
sonne, sa promesse sonne : "arrière ces superstitions, ces anciens
corps, ces ménages et ces âges. c'est cette époque-ci qui a sombré !"
il ne s'en ira pas, il ne redescendra pas d'un ciel, il n'accomplira pas
la rédemption des colères de femmes et des gaîtés des hommes et de
tout ce pêché : car c'est fait, lui étant, et étant aimé.
Ô ses souffles, ses têtes, ses courses ; la terrible célérité de la
perfection des formes et de l'action.
Ô fécondité de l'esprit et immensité de l'univers !
son corps ! le dégagement rêvé, le brisement de la grâce croisée de
violence nouvelle !
sa vue, sa vue ! tous les agenouillages anciens et les peines relevés
à sa suite.
son jour ! l'abolition de toutes souffrances sonores et mouvantes dans
la musique plus intense.
son pas ! les migrations plus énormes que les anciennes invasions.
Ô lui et nous ! l'orgueil plus bienveillant que les charités perdues.
Ô monde ! et le chant clair des malheurs nouveaux !
il nous a connus tous et nous a tous aimés. sachons, cette nuit
d'hiver, de cap en cap, du pôle tumultueux au château, de la foule à
la plage, de regards en regards, forces et sentiments las, le héler et
le voir, et le renvoyer, et sous les marées et au haut des déserts de
neige, suivre ses vues — ses
souffles — son corps, —
son jour.
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